« Depuis un siècle et demi, les hommes de sciences s’efforcent de découvrir les lois qui régissent la distribution des plantes sur la terre. » Claude Favarger, 1955

  Les associations végétales
par Eric Grossenbacher

Préambule Si vous avez l’occasion de parcourir un endroit, toujours le même et plusieurs années durant, en compagnie de botanistes différents, vous pourrez constater que chacun y va de sa perception personnelle. Chacun aura un petit quelque chose que les autres n’ont pas, comme des artistes peintres. Imaginez Van Gogh devant un paysage, ou Cézanne, Gauguin, Sisley, Monet, Manet, Mondrian, et j’en passe, peignant le même sujet, chacun aura son coup de pinceau bien à lui, reconnaissable entre tous. Les botanistes n’échappent pas à une telle comparaison. Et, quand vous êtes étudiant en botanique, c’est une aubaine d’avoir autant de professeurs différents.
Claude Favarger et Eric Grossenbacher, Saillon, 07.06.1986
Il faisait un tel vent, ce jour-là, à Saillon, que le pique-nique eut lieu dans une vigne, à l’abri d’un mur de soutènement, ce qui fit dire à Claude Favarger (à droite sur la photo) : « Dans toute ma carrière de botaniste, c’est la première fois que je pique-nique dans une vigne… j’espère que la prochaine fois, ce ne sera pas dans les vignes du Seigneur ! »
Photo : Annie Rossel
Associations végétales
Méprise ! Assistant au cours théorique de biologie végétale du prof. Claude Favarger, semestre d’été 1955, j’avais noté dans mon cahier de notes ses paroles à propos d’une forêt : « Chêne et à Charme »… et de me demander, le plus sérieusement du monde, ce que pouvait bien désigner une telle formulation ! Il me fallut quelque temps pour comprendre qu’il s’agissait d’un type de forêt, allons, osons le mot, d’une association végétale : la « Chênaie à Charme » ! Nuance de la langue française. Evidemment la diction du professeur était correcte, quant à mes notes, c’étaient celles d’un ignorant en botanique. Les excursions sur le terrain en compagnie de Claude Favarger mirent rapidement de l’ordre dans mes errances de débutant. Avec lui, comme tout devenait clair et précis, comme tout devenait compréhensible ! Avec le temps, mes connaissances en botanique devinrent « plus solides ».

Claude Favarger

En 1956, un colloque de botanique réunit les Universités de Paris, Besançon et Neuchâtel. Trois jours sur sol français, trois jours sur sol suisse. Au programme…

En France :
01.07.56 Région de Levier (forêt) ; 02.07 Sources de La Loue ; 03.07 Mont-Rond

En Suisse :
04.07.56 Tourbière du Cachot ; 05.07 Creux-du-Van ; 06.07 Champmartin (sud du lac de Neuchâtel)

Notre colloque universitaire fut de la plus haute importance pour nous autres, étudiants.

Chaque excursion était conduite par des botanistes chevronnés. Côté Uni de Neuchâtel, nous avions la très grande chance de posséder un botaniste de talent, Claude Favarger, professeur et directeur de l’Institut de botanique. Les étudiants de Paris et de Besançon qui, durant les trois premiers jours, venaient de découvrir ce botaniste exceptionnel lui réservèrent une véritable salve d’applaudissements dans l’amphithéâtre du Mail à Neuchâtel lors de leur réception officielle sur sol suisse.

Claude Favarger, à son arrivée dans la salle, ne put prendre la parole que de nombreuses minutes plus tard : les applaudissements n’en finissaient pas ! Je revois Claude Favarger faisant les cent pas devant « son » grand tableau noir, tableau qu’il utilisait habituellement pour son cours général de botanique, allant dans un sens, puis dans l’autre, regardant le sol (sa modestie n’avait d’égal que son grand savoir), levant les yeux en direction des étudiants, prêt à faire son discours d’accueil. Mais les acclamations de continuer, toujours et encore…

Vous pouvez me croire : je faisais partie de l’auditoire !

Claude Favarger et la phytosociologie :

Claude Favarger n’était pas un phytosociologue à proprement parler, mais il fit tout, en tant que directeur, pour que son Institut de botanique de Neuchâtel possédât une chaire de phytosociologie. En 1955 et 1956, ce n’était pas encore le cas. Ayant côtoyé Claude Favarger, je puis affirmer que cet éminent professeur avait l’âme d’un phytosociologue. Pour preuve l’article qu’il publia sur les associations végétales dans le journal COOPERATION, en 1955 (voir bibliographie en fin de rubrique, chiffre 13). Et que dire de ces bijoux que sont « Flore et végétation des Alpes », en deux tomes, parus en 1955 et 1958 aux éditions Delachaux & Niestlé ? La phytosociologie y fuse à chaque page. D’ailleurs le chapitre IV, « Principe des associations végétales », ne s’étale-t-il pas sur 13 pages ? Ajoutons encore, pour être complet, que Claude Favarger a remanié son texte du chapitre IV pour l’adapter aux approches nouvelles de la phytosociologie dans les éditions 1995 de cet ouvrage.

Jean-Louis Richard, Aletsch, juillet 1983
Jean-Louis Richard, premier phytosociologue en date de l’Université de Neuchâtel (1966). Dans l’un de ses cours, il avait dit : « Vous trouvez une faute dans une publication ? Corrigez-la ! »
Photo : E.Gr
Associations végétales

Dès 1966, Claude Favarger trouva en Jean-Louis Richard le premier professeur en date qui enseigna cette science à quantité d’étudiants à l’Université de Neuchâtel. Jusqu’en 1986, Jean-Louis Richard forma de jeunes botanistes attirés par la phytosociologie. Deux d’entre eux prirent la relève dès 1987. Professeur associé, Jean-Daniel Gallandat assura l’enseignement de cette branche jusqu’en 2005. Jean-Michel Gobat, également directeur du Laboratoire Sol & Végétation, puis Pascal Vittoz, en assurent maintenant la pérennité dans le cadre du master en biogéosciences, commun avec l’Université de Lausanne. N’oublions pas François Gillet qui, avant de prendre le chemin de l’Université de Besançon, marqua son passage avec l’approche synusiale intégrée. Peut-on parler d’une école neuchâteloise de phytosociologie ? Oui, assurément !

D’autres écoles de phytosociologie

Si la curiosité vous pousse à aller sur Google, vous verrez, en tapant « Associations végétales », qu’il existe beaucoup d’écoles : suédoise, anglaise, américaine, franco-suisse sigmatiste (Zurich, SIGMA Montpellier, avec Josias Braun-Blanquet comme botaniste précurseur, 1913, 1928, 1951, 1964) ; l’école suisse des synusies (Rübel 1917, Gams 1918), russe, estonienne, belge, française, allemande… La bibliographie en fin d’article peut vous donner une petite idée de l’ampleur du sujet, et ce n’est qu’un tout petit sommet d’iceberg.

Josias Braun-Blanquet (1884-1980)

« Suivant sa méthode, on considère des échantillons de terrains aux biotopes uniformes, où les espèces sont distribuées de façon répétitive. On établit alors une liste (appelée relevé) des espèces présentes sur une surface semblant floristiquement homogène. Par surface floristiquement homogène, on entend une surface où la liste des espèces ne varie pas. »

On estime aussi la couverture respective des espèces selon deux critères :

  • abondance-dominance (voir tabelle ci-après) : surface occupée par chaque espèce végétale en proportion de la surface totale occupée par l’ensemble des plantes de la station relevée…
  • sociabilité (voir tabelle ci-après) : distribution des individus de chaque espèce présente sur l’ensemble de l’échantillon de terrain (ce second critère est de moins en moins utilisé).

Les relevés botaniques effectués sont comparés entre eux dans des tableaux synthétiques pour déterminer leurs degrés de similitude. On juxtapose ainsi plusieurs relevés pour finalement former des unités phytosociologiques homogènes floristiquement. »

Dans ces tableaux synthétiques apparaissent plusieurs colonnes représentant chacune un individu d’association, et, s’ils se ressemblent entre eux plus qu’à tout autre, l’ensemble forme finalement l’association, sous-entendu que chaque individu d’association est bien réel (le relevé de terrain), alors que l’ensemble n’est qu’une représentation abstraite de la botanique.


Tabelles de Braun-Blanquet


Alliance du MesobromionAssociations végétales

Prairie à Brome dressé, Le Landeron, 20.05.1981 (prairie mi-sèche médio-européenne): Prairie caractéristique peu ou pas fumée en exposition sud (au premier plan). Vue prise au-dessus du Landeron NE. Dans le lointain : lac de Bienne avec l’isthme de l’île-de-St-Pierre.
Photo : E.Gr

Abondance dominance
5plus de 75% de recouvrement de la surface
4entre 50 et 75% de recouvrement de la surface
3entre 25 et 50% de recouvrement de la surface
2entre 5 et 25% de recouvrement de la surface
1peu abondant, moins de 5%
+très peu abondant
respèce très rare dans la station considérée
Sociabilité
5peuplement très dense
4petites colonies
3groupes isolés étendus
2touffes
1espèces isolées

Ce coefficient est de plus en plus abandonné. Cependant, Josias Braun-Blanquet, Max Moor, Jean-Louis Richard, entre autres, étaient coutumiers de la cotation à deux chiffres (voir exemple ci-dessous).

Exemple de relevé botanique (individu d’association)

Pour les termes techniques, voir sous « quelques définitions »
Prairie
Classe :Festuco-Brometea (prairie et pâturage maigres ; pelouses steppiques)
Ordre :Brometalia (pelouse mi-sèche de type subméditerranéen)
Alliance :Mesobromion erecti (pelouse mi-sèche médio-européenne peu ou pas fumée, sur calcaire ; fauchée ou pâturée)
Association :Mesobrometum (association du Brome dressé)
Cours universitaire (Uni NE)

 Détails de l’Acéras homme-pendu 

Associations végétales L’épi allongé, dense, rappelle dans chacune de ses fleurs un homme pendu… d’où son nom.
Hôte des prés maigres, et caractéristique de l’association Mesobrometum.
Photo : Michel Juillard

 Anacamptis en pyramide 

Associations végétales L’Anacamptis en pyramide (ou Orchis pyramidal), caractéristique de l’association Mesobrometum, offre une très belle inflorescence d’un rose vif à carmin.
Photo : Michel Juillard

 Himantoglosse à odeur de bouc 

Associations végétales L’Himantoglosse à odeur de bouc est également une caractéristique de l’association Mesobrometum. Imposant par sa taille (il peut atteindre 80 cm de hauteur), et son odeur !
Photo : Michel Juillard
Botaniste :Jean-Louis Richard
Lieu :Chassagne, au nord d’Onnens VD
Date :09.05.1972
Altitude :520 m
Aire :100 m2
Exposition :sud-est
Pente :30% ou 13,5 degrés (rappel : 100% = 45 degrés)
Carte :1 : 25'000 Grandson No 1183
Strate arbustive
Crataegus monogyna+Aubépine à un style
Strate herbacée
Bromus erectus4.4 Brome dressé
Festuca ovina2.3 Fétuque ovine
Poa pratensis1.1 Paturin des prés
Dactylis glomerata1.1 Dactyle aggloméré
Anthoxanthum odoratum1.1 Flouve odorante
Brachypodium pinnatum+Brachypode penné
Carex caryophyllea1.1 Laiche du printemps
Luzula multiflora+ Luzule à plusieurs fleurs
Dianthus carthusianorum+Oeillet des Chartreux
Trifolium rubens1.1 Trèfle pourpre
Trifolium medium1.2Trèfle intermédiaire
Genista sagittalis1.2Genêt ailé
Lotus corniculatus1.2 Lotier corniculé
Sanguisorba minor+Petite pimprenelle
Polygala comosa+Polygale à toupet
Scabiosa columbaria+Scabieuse colombaire
Knautia pratensis+Knautie des champs
Thymus serpyllum1.2Thym serpolet
Salvia pratensis+Sauge des prés
Daucus carota+Carotte sauvage
Pimpinella saxifraga+Boucage saxifrage
Plantago lanceolata+Plantain lancéolé
Plantago media+Plantain moyen
Hieracium pilosella1.2Epervière poilue
Picris hieracioides1.1Picride fausse épervière
Potentilla neumanniana+Potentille printanière
Centaurea jacea+Centaurée jacée
Achillea millefolium+Achillée millefeuille
Quercus sp. (semis)rChêne
Gentiana sp.rGentiane


Commentaires de Jean-Louis Richard
:

  1. Le Brome étouffe tout (cote 4.4) ! Pas d’orchidées (à cause de la présence du mouton) ;
  2. Pelouse d’aspect homogène, non fauchée ;
  3. Alors qu’un bon Mesobrometum peut compter jusqu’à 50 espèces, voire plus, notre relevé est excessivement pauvre (30 espèces), pauvreté due à la présence du mouton… « C’est donc un mauvais exemple de Mesobrometum ! »
  4. Ces remarques mises à part, il faut reconnaître que toutes les espèces observées sont bien à leur place ;
  5. L’alliance Mesobromion est un dérivé secondaire de la forêt défrichée ;
  6. Sol relativement profond ;
  7. Bromus erectus est la caractéristique de l’ordre Brometalia ;
  8. La fumure transformerait notre station en une prairie à foin, une Arrhenathéraie (prairie de fauche de basse altitude).



Orchis singe (Orchis simia)

Associations végétales

Les fleurs de l’Orchis singe ont une allure de pantin. Espèce rare en Suisse et caractéristique de l’association Mesobrometum.
Photo : Michel Juillard

Notre (très modeste) commentaire :

  1. Les différents vents, les animaux, etc. apportent de très grandes quantités de graines, mais une sélection s’opère. Le Mesobrometum sélectionne, grâce au phénomène de la télétoxie (voir définitions ci-dessous), les plantes qui feront partie de l’ensemble. N’est pas accepté qui veut dans la station… Il en est ainsi pour toute association végétale. L’homogénéité de la végétation d’une station dépend de la sélection naturelle « voulue » par ledit ensemble.
    Nous pourrions ajouter : « Une plante ne peut pas pousser n’importe où ! »
  2. D’autres causes entrent aussi en considération. Qu’on songe aux facteurs d’humidité, d’évaporation ; d’acidité et d’alcalinité des sols, de substances nutritives, d’humus, de lumière, de température, de sécheresse estivale, de différents modes de croissance, tous éléments s’enchevêtrant les uns dans les autres comme les différents éléments d’un écheveau. « Pour comprendre les plantes, il faudrait vivre comme elles, les pieds dans le sol.» - dixit Claude Favarger.
  3. Les botanistes lisant un tableau phytosociologique se représentent l’association végétale à l’exemple de musiciens lisant une partition musicale. Si le musicien entend la musique simplement en regardant une partition, le botaniste voit l’aspect de la station en parcourant un tableau phytosociologique. Cependant, la salle de concert pour le mélomane et le terrain pour le botaniste est irremplaçable.
  4. Notre Mesobrometum restera en l’état tant que l’homme y fera paître des moutons. Dans le cas contraire, des buissons, Juniperus communis, Crataegus sp. en qualité d’espèces pionnières, la forêt ensuite (une chênaie buissonnante), occuperont le terrain, et ce, assez rapidement.
  5. Il est question de caractéristiques d’association. Lesquelles sont-elles pour le Mesobrometum ? Eh bien, à part l’Esparcette Onobrychis viciifolia, ce sont des orchidées : l’Anacamptis pyramidal Anacamptis pyramidalis, l’Orchis singe Orchis simia, l’Acéras homme-pendu Aceras anthropophorum, l’Himantoglosse à odeur de bouc Himantoglossum hircinum. Les photographes amateurs d’orchidées n’ont qu’à choisir une pelouse à Brome dressé pour assouvir leur passion. D’ailleurs, il suffit d’aller repérer une telle pelouse pour constater que les photographes ont passé avant vous : le piétinement autour des orchidées ne trompe personne… Les orchidées sont très photogéniques.


MesobrometumAssociations végétales

L'association du Brome dressé (Mesobrometum) recèle des trésors : des orchidées ! Si l'Acéras homme-pendu (Aceras anthropophorum), caractéristique du Mesobrometum, de couleur verdâtre, se confond avec la végétation, il n'en est pas de même de l'Orchis militaire (Orchis militaris), en rose, caractéristique de l'alliance Mesobromion.
Photo : Michel Juillard

Suivez le guide…

Nous venons de noter sur le terrain, à Onnens VD, une liste de plantes formant un groupement végétal (une prairie) d’allure très homogène. Imaginez qu’on retrouve, dans une autre localité, par exemple au Landeron NE, une prairie semblable, ressemblant à celle d’Onnens à s’y méprendre, comme le sont deux vraies jumelles dans l’espèce humaine, au point de vous exclamer : « Mais c’est le même type de végétation ! » Tout naturellement l’envie vous prend alors de noter toutes les plantes qui se trouvent dans cette nouvelle prairie, en appliquant les mêmes règles pour un relevé botanique, et de comparer les deux listes il n’y a qu’un pas.

Rien ne vous empêche de recommencer l’exercice dans d’autres localités occupant les mêmes expositions et altitudes entre Onnens et Le Landeron. Vous trouverez sans peine une vingtaine de stations identiques sur tout le littoral neuchâtelois et vaudois. En notant les espèces présentes dans chacune des prairies, et riche de vos vingt listes de plantes… il suffira de les juxtaposer dans un tableau synthétique pour constater qu’il y a répétition des mêmes espèces. Avec de petites nuances d’un relevé à l’autre, cela va de soi, tant il est vrai qu’il est impossible de trouver deux stations à 100% identiques…Par exemple le Brome dressé Bromus erectus, la poacée (graminée) dominante, sera fidèlement représenté dans chacune des stations. En revanche, il est possible que l’on trouve des orchidées dans l’un ou l’autre des relevés, mais pas forcément dans tous, selon la présence ou non des moutons.


Ce tableau synthétique (avec ses vingt colonnes ou individus d’association), constitue une association végétale. Les phytosociologues l’ont appelée Mesobrometum (association du Brome dressé).

Le brome dressé Bromus erectus est l’espèce caractéristique de toutes les prairies mi-sèches de type méditerranéen.

Ruine de Rome (Cymbalaria muralis) Cymbalaria muralisCymbalaria muralis

La Cymbalaire :
Les vieux murs abritent une plante délicate, la Ruine de Rome. Chez nous, elle fait partie de l'association de la Rue de muraille et de l'Asplénium rouge (Asplenietum trichomano-rutae-murariae). Fécondée par les abeilles, la fleur produit un fruit qui, à maturité, est ramené en direction du mur, dans une anfractuosité. La plante assure elle-même sa propagation : c'est l'autochorie.
Photos: E.Gr et MJ


Quelques définitions

Association végétale (notion abstraite) :
  1. Cortège végétal de constitution floristique à peu près constant et défini avant tout par la présence simultanée d’un certain nombre d’espèces caractéristiques ;
  2. Une association végétale n’existe que sur les pages d’une publication, sous forme de tableaux synthétiques (c’est donc bien une notion abstraite de la botanique) ;
  3. C’est l’unité de base de la systématique phytosociologique (joue en phytosociologie le rôle de l’espèce en systématique)
  4. « L’association représente une des conceptions les plus modernes de la botanique. » - dixit Claude Favarger, 1955

Caractéristique :
Se dit d’une espèce végétale qui n’existe que dans un seul groupement végétal (on parle alors de caractéristique exclusive) ou du moins qui y a son optimum écologique

Différentielle :
Se dit d’une espèce ayant une présence plus élevée dans un groupement végétal que dans d’autres groupements de même rang (intervient en particulier pour déterminer des sous-associations)

Ecologie végétale :
Science des rapports de la plante avec son milieu

Individu d’association (notion concrète) :
Groupement végétal bien réel entrant dans la composition d’un tableau synthétique d’une association

Nomenclature des unités hiérarchiques :
Classement hiérarchisé des groupements végétaux par affinité floristique :

Classe (suffixe – etea)
             sous-Classe (suffixe – enea)

Ordre (suffixe – etalia)
             sous-Ordre (suffixe – enalia)

Alliance (suffixe – ion)
             sous-Alliance (suffixe – enion)

Association (suffixe – etum)
             sous-Association (suffixe – etosum)
Phytosociologie :
Etude des associations végétales
Bryum élégantAssociations végétales

Bryum élégant: Vieux mur, La Neuveville, 03.01.2010

Synusies: Dans la classe de végétation des vieux murs (Parietarietea judaicae), l’alliance Centhrantho-Parietarion recèle une quantité de petites niches dans lesquelles poussent, par exemple : la Rue-de-muraille (Asplenium ruta-muraria), le Capillaire rouge (Asplenium trichomanes) – voir les magnifiques photos de l’article de Jean-François Christians – entre autres, dont des mousses. Toutes ces petites niches forment autant de synusies ! La photo montre des coussins de mousses, Bryum élégant (Bryum elegans = Bryum capillare var. elegans), qui, à eux seuls, donnent une idée de la notion de synusies.
Photo : E.Gr



Relevé phytosociologique (notion concrète) :
Enumération (liste) des espèces vivant dans une station à peuplement homogène accompagné de caractères analytiques chiffrés (cela implique que le phytosociologue doit être un excellent botaniste de terrain !)

Station :
Milieu où vit une plante ; par extension, c’est l’écrin d’un individu d’association (M. Guinochet, 1973)

Synusie :
Mini-association («la plus petite d’une série de poupées russes » - dixit François Gillet) ; c’est à Helmut Gams que l’on doit l’introduction dans la littérature du terme de synusie dans le sens d’une unité écologique abstraite (1918) ; exemple de synusie : dans une forêt, florule se formant autour d’une souche d’arbre

Systématique :
Science des classifications des formes vivantes

Télétoxie :
La télétoxie est le fait qu'une espèce de plante produise des éléments phytotoxiques afin d'inhiber, de limiter, ou d’empêcher la germination ou la croissance d'autres plantes. Un bon exemple est le chiendent rampant, qui émet dans le sol, par ses racines, des substances toxiques pour les autres plantes, phénomène appelé allélopathie ou télétoxie. Pour en savoir plus, allez sur Google et demandez : allélopathie...

De la classe à l’association (et réciproquement) :
Concernant la classe des Festuco-Brometea (prairies et pâturages maigres ; pelouses steppiques), les phytosociologues ont fait une distinction entre les pelouses steppiques continentales (par exemple celles du Valais) et les pelouses mi-sèches sub-méditerranéennes du reste de la Suisse, en créant deux ordres :
  1. Festucetalia valesiacae (pelouses steppiques continentales)
  2. Brometalia erecti (pelouses mi-sèches de type sub-méditerranéen).

En procédant de même à un échelon plus bas, nous distinguons :

a) trois alliances pour l’ordre Festucetalia valesiacae :
  1. Festucion valesiacae (alliance de la Fétuque du Valais)
  2. Cirsio-Brachypodion (pelouses mi-sèches subcontinentales)
  3. Stipo-Poion xerophilae (alliance des milieux très secs de la Stippe pennée Stippa pennata et du Paturin de la Carniole Poa carniolica)


b) trois alliances pour l’ordre Brometalia erecti :
  1. Mesobromion erecti (pelouses mi-sèches médio-européennes peu ou pas fumées sur substrat calcaire)
  2. Koelerio-Phleion phleoidis (pelouses sèches sur sols acides)
  3. Xerobromion (pelouses très sèches médio-européennes)

Au tour des associations maintenant : 5 pour les alliances de l’ordre Festucetalia valesiacae, une vingtaine pour l’ordre Brometalia erecti dont notre Mesobrometum erecti d’Onnens !

Nos lecteurs comprendront aisément que nous lui épargnions une si longue liste d’associations… Les esprits curieux peuvent consulter l’ouvrage No 4 d’Erich Oberdorfer de la liste de la bibliographie (« Un ouvrage indispensable à tout amateur de phytosociologie » - dixit Jean-Louis Richard, 1972).
Erico-Pinetum Val Stabelchod (Parc National), 15.09.1981
Parmi les nombreuses associations végétales de notre pays, il en est une qui est très spectaculaire. Si vous parcourez les sentiers du Parc National dans les Grisons, vous ne serez pas insensible à cette forêt laissée à l’état naturel. Le Pin de montagne et la Bruyère couleur de chair (Erica herbacea = E. carnea) s’associent pour former une très belle forêt, la pinède à Bruyère carnée (Erico-Pinetum). Depuis 1914, date de la création du Parc National, cette forêt pousse naturellement, sans le concours de l’homme.
Photo : E.Gr
Associations végétales

A propos de classes


Jean-Louis Richard, dans son polycopié réalisé en 1988 (voir bibliographie, chiffre 9), a répertorié 38 classes phytosociologiques pour la Suisse… En première position, la classe des Lemnetea (radeaux de lentilles d’eau ; les tissus des « feuilles » nageantes ont beaucoup de lacunes, tandis que la racine, lourde, stabilise la lentille d’eau, si bien qu’elle se comporte comme une bouée sur l’eau) ; en dernière position, la 38e classe, Quercetea pubescentis (chênaies subméditerranéennes de l’étage collinéen, campant sur des sols calcaires filtrants, avec des espèces relictes xérothermophiles). Il n’est pas question de parler des 36 classes de végétation intermédiaires, pour ne pas allonger notre propos. Ceci pour dire aux lecteurs que les phytosociologues ont soigneusement ordonné et, surtout, hiérarchisé toute la végétation de la Suisse.

A titre de comparaison


Voici un petit essai de classification géométrique, par amusement, selon le mode phytosociologique :

Classe : Quadrilatères (figures géométriques planes ayant quatre côtés)
Ordre : Parallélogrammes
Alliance : Quadrilatères dont les côtés opposés sont deux à deux parallèles et égaux
Associations : a) carré (admet quatre axes de symétrie)
b) rectangle (deux axes de symétrie)
c) parallélogramme (aucun axe de symétrie)
d) losange (deux axes de symétrie)
            
Ordre : Rhomboïdes (ou deltoïdes)
Alliance : Quadrilatères dont les côtés forment deux couples de côtés adjacents égaux:
Associations : a) cerf-volant (admet un axe de symétrie)
b) fer de lance (un axe de symétrie)
 
Ordre : Trapèzes
Alliance : Quadrilatères dont deux côtés sont parallèles
Associations : a) trapèze rectangle (aucun axe de symétrie)
b) trapèze isocèle (un axe de symétrie)
c) trapèze quelconque (aucun axe de symétrie)
 
Ordre : Quadrilatères quelconques
Alliance : Quadrilatères ayant quatre côtés inégaux
Association : a) quadrilatère quelconque (aucun axe de symétrie)


Remarques :

Un esprit géométrique verra que :
  • le carré est un losange (mais la réciproque n’est pas vraie)
  • le carré est un parallélogramme (mais la réciproque n’est pas vraie)
  • le carré est un rectangle (mais la réciproque n’est pas vraie)
  • le carré est un trapèze (mais la réciproque n’est pas vraie)
  • un parallélogramme est un carré s’il est à la fois losange et rectangle
  • etc.

En guise de conclusion

L’article paru en 1955 dans le journal COOPERATION et dû à la plume de Claude Favarger se termine par ces mots :

« L’association végétale, régie par la concurrence vitale, a ses forts et ses faibles, ses exclusions et ses tolérances. Et cela nous fait penser à nouveau… à une société humaine. »

Bibliographie Documents de PHYTOSOCIOLOGIE

  1. Phytosociologie
    M. Guinochet
    Ed. Masson & Cie, Paris 1973
    En français, 228 pages

  2. Petit manuel d’initiation à la phytosociologie sigmatiste1
    Bruno de Foucault
    Laboratoire de botanique – Faculté de pharmacie, Lille II, Amiens, 1986
    CRDP, 45, rue Saint-Leu – 80000 Amiens - En français, 52 pages

    1Sigmatiste, de SIGMA : Station – Internationale – Géobotanique – Méditerranéenne – Alpine / Ecole de Montpellier

  3. Géographie botanique
    Jules Carles
    Coll. « Que Sais-je ? » No 313 – 1963 (2e édition). En français, 128 pages
    Commentaire (E.Gr) : épuisé… à rechercher dans les librairies de livres anciens… Même si cet ouvrage est dépassé, il donne une bonne approche de la phytosociologie

  4. Pflanzensoziologische Exkursions Flora
    Erich Oberdorfer
    Ed. Ulmer, 7000 Stuttgart; (1990, 6e éd.). En allemand : 1050 pages
    Commentaire (E.Gr) : la bible pour la phytosociologie, chaque espèce étant située du point de vue phytosociologique ! A se procurer !

  5. Milieux naturels de Suisse (Ecologie - Menaces – Espèces caractéristiques)
    Raymond Delarze, Yves Gonseth, Pierre Galland
    Ed. delachaux & niestlé PRO NATURA, 1998, en français, 415 pages
    Commentaire (E. Gr) : à se procurer, sans hésitation !

  6. Association végétales du Jura bernois
    Charles Krähenbühl
    « Actes » de la Soc. Jur. d’Emulation, 1968, 122 pages
    Commentaire (E.Gr) : utile pour notre petit « coin de terre », car c’est une synthèse pour la phytosociologie de nos 7 districts du Jura bernois d’avant 1974.
    J’y ai consacré un Index, 32 pages, en 1978 (Librairie de l’Etat de Berne)

  7. Pflanzensoziologie
    Erich Oberdorfer
    Gustav Fischer
    Verlag, Jena / 1977-1992
    Un monument de la phytosociologie !

    Teil IFels- und Mauergesellschaften, alpine Fluren, Wasser-, Verlandungs-, und Moorgesellschaften
    1977, 312 pages
    TeilIISand- und Trockenrasen, Heide- und Borstgras-Gesellschaften, alpine Magerrasen, Saum-Gesellschaften, Schlag- und Hochstauden-Fluren
    1978, 355 pages
    TeilIIIWirtschaftswiesen und Unkrautgesellschaften
    1983, 455 pages
    Teil IVWälder und Gebüsche
    1992, Textband, 282 p. + Tabellenband, 580 p.


  8. Mitteilungen – Mémoires – Memories
    Ellenberg et Klötzli
    Waldgesellschaften und Waldstandorte der Schweiz, Vol 48, Fasc. 4, 930 pages
    Institut de Recherches forestières, 1972

  9. Les grandes unités de végétation de la Suisse
    J.-L. Richard
    Syntaxonomie
    Polycopié à l’intention du Corps ens. du Jura bernois et de Suisse romande, 16 pages
    Note (E.Gr) : non publié… j’y ai ajouté un index de 19 pages…
    Ce texte - un petit bijou - a été polycopié par le CPCE / CIP de Tramelan à l’occasion des deux cours donnés à La Neuveville, en 1988 et 1989 (4 fois 2 h, chaque année), au corps enseignant. Ces deux cours furent donnés à la perfection par J.-L. Richard

  10. Volume 1Clé de détermination des stations forestièresdu canton du Jura et du Jura bernois
    1998, par Kaufmann + Partner / Burger + Stocker / Soleure / Lenzburg
    FNP, Pédologie forestière - Birmensdorf
     
    Volume 2Stations forestières
    Du canton du Jura et du Jura bernois
    1998, idem
    Note (E. Gr) : indispensable pour les forestiers (ing. forestiers + bûcherons)

  11. Les Groupements Végétaux de la France Méditerranéenne
    Josias Braun-Blanquet, avec la collaboration de Mme N. Roussine, MM. R. Nègre et L. Emberger
    CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique, 1952 - 290 pages

  12. Clés des Classes, Ordres et Alliances phytosociologiques de la France
    M. Guinochet
    Naturalia monspeliensa, série botanique, fasc. 21 - 119 pages - 1970

    Note (E.Gr) : ces clés se retrouvent dans Flore de France, de M. Guinochet et Roger de Vilmorin, en 5 vol. (dans le tome I), 1973
    Aux Editions du CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
    15, quai Anatole-France – 75700 Paris

  13. Les associations végétales
    Claude Favarger, Institut de botanique, Université de Neuchâtel
    Article pleine page paru dans le Journal COOPERATION, Bâle, 01.10.1955
    Vous pouvez obtenir une copie chez : eric_grossenbacher@bluewin.ch

  14. Cours universitaire 1973-74
    Jean-Louis Richard, phytosociologue
    Notes prises par Eric Grossenbacher
    Université de Neuchâtel

  15. Flore forestière française
    1. Plaines et collines
    J.-C. Rameau / D. Mansion / G. Dumé
    Institut pour le développement forestier, 1989, 1785 pages

    2. Montagnes
    Mêmes auteurs
    2001, 2421 pages
    Diffusion : Lavoisier TEC & DOC, 11, rue Lavoisier, F – 75384 Paris Cedex 08
    Ouvrages remarquables, illustrés de dessins au trait des plantes les plus caractéristiques…
    Classification phytosociologique forestière avec les espèces caractéristiques, différentielles et compagnes de haute fréquence.


  16. L’association végétale : notion abstraite de la botanique
    Eric Grossenbacher
    Article paru dans le JOURNAL DU JURA, Bienne, 13.11.1979, double page

  17. Die Typen der Bromus erectus-Wiesen des Schweizer Juras
    Ihre Abhängigkeit von den Standortsbedingungen und wirthschaftlichen Einflüssen und ihre Beziehungen zur ursprünglichen Vegetation
    Heinrich Zoller, Zürich
    Beiträge zur geobotanischen Landesaufnahme der Schweiz, Heft 33,1954, 309 Seiten

Remarque importante :

Il existe de très nombreuses études phytosociologiques de tous les pays et pour de nombreuses petites régions. C’est le cas notamment de la Suisse (à titre d’exemple, voir sous No 17 de la bibliographie ci-dessus).

Il va de soi que, pour bien comprendre la phytosociologie, il est indispensable de suivre des cours, de préférence à l’université ou, comme l’a fait Max Moor, en autodidacte. La littérature phytosociologique sera indispensable.

Idéale cette trilogie : terrain (relevés botaniques) en compagnie d’un phytosociologue - cours théoriques universitaires (si possible) - littérature…
Remerciements (botanistes, phytosociologues, cités dans l’ordre chronologique, dès 1955)

Claude Favarger (1913-2006), Uni de Neuchâtel ;
Jean-Louis Richard (1921-2008), Uni de Neuchâtel ;
Max Moor (1911-1988), Bâle ;
Claude Béguin, Chaumont ;
Jean-Jacques Corre (1935-1993), Uni de Montpellier ;
Jean-Daniel Gallandat, Uni de Neuchâtel ;
François Gillet, Uni de Besançon ;
Jean-Michel Gobat, Uni de Neuchâtel.

Photographes :
Michel Juillard, Miécourt (Ajoie), prof. de biologie au Gymnase de Porrentruy ; Annie Rossel, institutrice retraitée et botaniste de Tramelan.

Eric Grossenbacher, La Neuveville, mars-avril 2010
eric_grossenbacher@bluewin.ch