AULNAIE ALLUVIALE Alnetum incanae Forêt riveraine de rivière
par Eric Grossenbacher
La rivière, canalisée et enterrée sur un premier tronçon (dans des tuyaux de béton armé de 1,40 m de diamètre, pour un débit de 5 mètres cubes par seconde et sur une pente de 10 pour mille) lors de la traversée de Tramelan et sur une distance de 2,5 km, apparaît à ciel ouvert à la fin du village. Ensuite elle s’écoule, non pas à sa guise mais en ligne droite, imposée, dans les prés en direction est. Les travaux dans le talweg de Tramelan ont duré de 1911 à 1920. C’est seulement à son arrivée vers le Moulin-Brûlé qu’elle coule sans contrainte, le temps de traverser un défilé d’un km et demi, le long de la Route de La Trame. Là, après avoir doublé le « Pont-sur-l’Eau » au pt 836, elle commence à nous intéresser : elle est sauvage à souhait, avec des méandres et de petites cascades. Ce charme discret mais bien visible de la route se termine à la hauteur du « Pont-de-la-Mort », au pt 786, sur l’axe routier Le Fuet - Tavannes.
Du Couvent - à plus de 900 m d’altitude, au sud-ouest de Tramelan où elle prend sa source - jusqu’à son confluent avec La Birse en aval de Reconvilier - alt. 720 m – au Moulin de Loveresse, La Trame aura parcouru un peu plus de 13 km, après avoir arrosé les villages de Tramelan, Saicourt et Saules.
De mémoire d’homme, à Tramelan, on n’a jamais vu la rivière à sec ; tout au plus, en août 1893 et septembre 1895, « il n’y avait plus qu’un mince filet d’eau » …
En revanche, de véritables catastrophes eurent lieu, toujours à Tramelan :
- lundi 16 août 1909 : « La Trame, si pacifique d’habitude, s’est transformée en un torrent impétueux, puis en lac ; l’eau a atteint 80 cm dans les maisons du bas du village. »
- jeudi 20 janvier 1910 : « Une brèche de 12,89 m a été creusée par l’eau dans la digue singulièrement meuble qui forme le chemin d’accès au cimetière, digue derrière laquelle on avait laissé s’accumuler une pression formidable. Par une triste, douloureuse et coûteuse expérience, nous savons maintenant le danger qu’il y a à créer des étangs (patinoire en hiver) en amont des localités… Le village dans toute sa longueur était partagé en deux par un lac à flots tumultueux qu’on ne pouvait franchir. Une quarantaine de maisons ont été inondées. Une jeune fille de 6 ans, emportée par les flots, a perdu la vie. Dans certaines maisons, l’eau atteignit 1,50 m, voire même 2,50 m dans d’autres. A cette occasion, il est tombé 160,5 litres d’eau au mètre carré en 48 heures ! » Que l’on s’imagine : 16 arrosoirs d’eau, de 10 litres chacun, versés sur une surface d’un mètre carré…
Note botanique
Le territoire suisse abrite trois espèces d’aulnes (ou aunes ; appelés aussi vernes) :
- l’aulne vert, Alnus viridis, colonise les couloirs d’avalanches dans les Alpes ;
- l’aulne noir, Alnus glutinosa, campe dans les forêts humides (aulnaie marécageuse : eau
stagnante) ;
- l’aulne blanc, Alnus incana,est inféodé aux forêts riveraines.
Forêt riveraine le long de La Trame Alnetum incanae
Forêt naturelle, originelle, facile d’accès, de préférence avec des bottes…
Carte : Bellelay No 1105 au 1 : 25'000
Lieu-dit : en aval du Moulin-Brûlé, route Tramelan – Tavannes, « Pont-sur-l’Eau », pt 836
Coordonnées : 578'500 / 231’375
Rivière : La Trame, 3 à 6 m de large, faible débit en ce mercredi 24 juin 2009
Altitude : 830 m
Exposition : E
Pente : très légère… 1%
Surface : 600 m2
Sol : terre brune en surface, de pH 7 (neutre) ; alluvionnaire, eutrophe et humide, cailloux (diamètre moyen supérieur à 2 cm), graviers (de 2 cm à 2 mm), sables grossiers (de 2 à 0,2 mm), sables fins (de 0,2 à 0,05 mm), sables très fins (de 0,05 à 0,02 mm) et limons (entre 0,02 et 0,002 mm ou microns)
Date : 24 juin 2009
Relevé botanique
Arbres
Recouvrement : 70% / Hauteur : 20 m
Premier chiffre : abondance (échelle de 1 à 5) / second chiffre : humidité (échelle de 1 à 5)
Alnus incana (Aulne blanc)
3
4
(caractéristique de l’Association Alnetum incanae)
Fraxinus excelsior
3
4
(caractéristique de l’Ordre Fagetalia sylvaticae)
Arbustes
Recouvrement : 5% / Hauteur : 4 m
Alnus incana
1
4
Fraxinus excelsior
1
4
Acer pseudoplatanus
+
3
Abies alba
r
4
Coryllus avellana
r
3
Herbes
Recouvrement : 100 – 120% / Hauteur : jusqu’à 1 m
Urtica dioeca
4
3
Lamium galeodolon ssp. montanum
4
3
- purpureum
+
3
Filipendula ulmaria
2
4
Cirsium oleraceum
1
4
Veronica chamaedrys
1
3
- beccabunga
1
5
- montana
+
4
Galium aparine
1
3
Cardamine amara
1
5
Alliaria petiolata
1
3
Stachys sylvatica
1
4
Adoxa moschatellina
1
4
Geum urbanum
1
3
Chrysosplenium alternifolium
1
5
Chaerophyllum hirsutum
+
4
Festuca gigantea
+
4
Poa trivialis
+
3
Primula elatior
+
3
Geranium robertianum
+
3
Polygonatum verticillatum
r
3
Epilobium parviflorum
r
4
Dryopteris filix-mas
r
3
Présence de Mousses (nombreuses) et de Lichens sur de vielles souches en décomposition.
A remarquer que les mousses n’indiquent nullement les points cardinaux, à titre de repère… Il suffit qu’un arbre soit penché pour que les mousses s’installent « sur les parties tournées vers le ciel ».
Classification (pour notre forêt alluviale)
Classe :
Querco-Fagetea (forêts mixtes de feuillus et sapinières)
Ordre :
Fagetalia sylvaticae (forêts fraîches à feuilles caduques)
« On ne rencontre en général plus guère que des traces des associations forestières hygrophiles et buissonneuses des berges de rivières et de ruisseaux qui ont été réduites à quelques misérables restes, à la suite des travaux de correction et d’autres interventions humaines dans le régime des eaux. » - Max Moor, 1955
Notre individu d’association (aulnaie alluviale), au bord de La Trame, est bel et bien une forêt naturelle… En effet, l’homme ne tire aucun bénéfice de l’exploitation de tels milieux boisés. D’où son « abandon » à la nature. La Trame ne fait pas exception aux autres cours d’eau de la Chaîne jurassienne. Ils offrent tous des forêts riveraines de faible dimension. Mais rien ne nous empêche de rêver : ce type de forêts riveraines devait exister avant la correction de notre rivière tramelote, dès sa sortie à ciel ouvert jusqu’au Pont-sur-l’Eau. Il suffit de remonter le cours d’eau pour apercevoir de petits prés propices à des sinuosités. Et comment ! On peut supposer qu’il a existé autrefois de nombreux méandres de La Trame sur le parcours en aval de l’usine « Precitrame Machine SA » (magnifique réalisation architecturale toute de noire vêtue), favorisant la formation d’aulnaies alluviales. Le défilé situé entre le Pont-sur-l’Eau et le Pont-de-la-Mort n’offrait aucun espace suffisant à une correction éventuelle du cours d’eau (pour « gagner » des terres), d’où la présence de quelques minuscules aulnaies des alluvions.
Ce sont des « forêts » originelles.
Ce que nous disons ci-dessus, pour la partie en amont du Pont-sur-l’Eau, devait aussi exister en aval du Pont-de-la-Mort dans le talweg au sud du Fuet : le tracé rectiligne actuel de La Trame et les terrains jouxtants ne laisse aucun doute à ce sujet.
De même pour les secteurs de Saicourt, Saules jusqu’en aval de Reconvilier.
En présence d’eau courante, l’Aulne blanc (Alnus incana) et le Frêne élevé (Fraxinus excelsior) sont rois et se trouvent côte à côte avec un indice d’humidité de cote 4.
A noter la très faible abondance des arbustes (5%) : on se promène avec aisance dans le sous-bois.
Parmi les espèces citées, 28 au total, toutes sont à « leur place », à l’exception de la Fougère mâle (Dryopteris filix-mas) qu’on ne s’attend pas à trouver ici. Mais il a suffi de la présence d’un tronc abandonné pour qu’elle y trouve un refuge momentané, mais bien précaire.
Trois espèces atteignent la cote d’humidité maximum de 5 : Cardamine amara, Chrysosplenium alternifolium et Veronica beccabunga. Pas étonnant, elles vivent « les pieds dans l’eau »… Onze autres plantes ont une cote d’humidité 4…
La Trame borde ce petit bois d’Aulnes et de Frênes sur deux côtés. La rivière et ses méandres assurent une humidité permanente à l’ensemble. Il suffit d’une crue subite pour que notre aulnaie des alluvions se trouve complètement inondée, la surface du sol étant à peine plus haute que la rivière.
En guise de conclusion
Si Virgile Rossel revenait se promener au bord de La Trame, il retrouverait les aulnaies alluviales de son enfance intactes, du moins entre les deux ponts de la Route de La Trame, Pont-sur-l’Eau et Pont-de-la-Mort. En revanche, les tracés rectilignes de la rivière ne correspondent plus au « filet d’eau qui glisse et babille »…
Remerciements
Patricia Paroz, secr. communale de Saicourt ; Daniel Chaignat, Florian Châtelain, Alain Droz, tous de Tramelan ; Jean-Pierre Monti de Tavannes. Sans oublier Virgile Rossel, poète et quelque peu botaniste !
Eric Grossenbacher
La Neuveville, juin-juillet 2009