« La Lyre »: De la mort du « Roi des Bises »

En 1951, Laurent Boillat immortalisait dans un bois gravé de 43 x 27 cm qu’il a appelé " La Lyre" l’un des arbres les plus extraordinaires des Bises sur Tramelan, un Sapin blanc Abies alba.

Bois gravé de la lyre « La Lyre », Laurent Boillat, 1911-1985 Bois gravé, 43 x 27 cm, 1951. Tiré de : « Laurent Boillat, 1935-1975 (Quarante années de sculptures et gravures) »

Ce résineux situé sur un pâturage boisé à l’altitude de 1'100 m, au sud de Tramelan entre la Bise de Cortébert et la Bise de Corgémont, atteignait environ 30 m de haut en 1951.

Bois gravé de la lyre

« Effet de lumière »

La « Lyre » ou le « Roi des Bises » alors qu’elle vit ses derniers instants.

Ce n’est qu’un effet de lumière, et non l’arbre en feu ; à s’y méprendre !

Photo de Florian Châtelain, août 2008

La_Lyre

« La Lyre » (ou ce qu’il en reste)

Vue prise par Florian Châtelain « Floc », au petit matin du samedi 5 juillet 2008. La photo est prise du sud vers le nord, dans la même position que Laurent Boillat lorsqu’il dessina « La Lyre » en 1951… La base du tronc est cachée par la végétation.

Les Sapins Abies alba peuvent atteindre 600 ans dans de bonnes conditions. Quel était l’âge de " La Lyre " des Bises en 1951 ? Cent ans en tout cas, voire plus… Il est très difficile de le préciser.

En présence de la souche maintenant désespérément morte (plus d’écorce, plus aucune trace de vie), formée de plusieurs troncs d’environ 15 m de hauteur, la question suivante peut être posée : " Où était placé Laurent Boillat quand il a croqué cet arbre ? Au sud, au nord ? " En y regardant bien, il devait se trouver au sud, les branches tordues et recourbées vers le haut en attestent.

Une chose est sûre : on le savait perdu et ce, depuis plusieurs années. Les nouvelles à son sujet étaient alarmantes. Plusieurs Tramelots avaient observé et annoncé cette lente et bien triste fin. " Le Roi des Bises " est mort debout, sec sur pied ! N’oublions pas que les Sapins blancs enfoncent verticalement de solides racines-pivots, même si le sol est lourd et donc peu aéré.

Malgré tout la vie existe encore sur cet arbre. En effet, quatre arbustes d’une hauteur d’un mètre environ poussent en épiphytes (végétaux vivant sur d’autres plantes sans en tirer leur nourriture) dans le creux des branches : l’Erable faux platane Acer pseudoplatanus, le Sorbier des oiseleurs Sorbus aucuparia, le Sorbier de Mougeot Sorbus mougeoti, le Nerprun des Alpes Rhamnus alpina, tous les quatre au premier étage !

A part l’axe principal, pas moins d’une dizaine de branches avaient poussé vers le haut, à partir d’un seul tronc. On peut aisément s’imaginer l’allure qu’avait cet arbre, au temps de sa splendeur, en 1951. Le dessin de Laurent Boillat est là pour nous le rappeler.

Les illustrations montrent on ne peut mieux le phénomène de l’autotropisme qui veut que toutes les parties d’un végétal tendent à redevenir droites après avoir subi une courbure. Quel œil, quel coup de crayon, que ce soit artistique ou botanique, chez Laurent !

Nous avons compté aux alentours de " La Lyre " une bonne dizaine de Sapins blancs, tous en bonne santé, qui plus est à plusieurs troncs... Le " Roi des Bises " aurait-il assuré son bon souvenir, tout en précisant que cette allure en forme de lyre n’est qu’un accident de la nature, donc non héréditaire ? En cet endroit, un microclimat favoriserait-il les arbres-lyres ? Nous sommes prêts à le croire.

Il est encore temps d’aller admirer ce témoin du passé, somme toute pas si lointain. Oui, " La Lyre ", ce Sapin blanc des Bises est bien mort avec toute sa fierté,se décomposant petit à petit par le haut. Il a su rester majestueux jusque dans la mort.

Eric Grossenbacher, juillet 2008

Quelques explications :

Cet arbre a plusieurs pointes !

" Si les arbres n’ont généralement qu’une pointe, c’est que la pousse du sommet sécrète des hormones dominantes qui empêchent les autres branches de croître à la verticale. Ce phénomène est bien visible chez les résineux. Chez les très vieux arbres, ce contrôle n’est plus toujours très fort. Lorsque le sommet se casse, les branches inférieures peuvent parfois s’affranchir de la pression hormonale et pousser vers le haut. "

Pourquoi ce tronc fait-il un crochet ?

" Une branche latérale a remplacé le bout de l’axe du tronc, détruit par la neige, le vent ou l’écorçage de rongeurs. Si deux branches prennent la relève, on obtient un arbre-lyre, dont la forme rappelle les deux bras de l’instrument. "

De quoi meurt un arbre, s’il n’est pas récolté ?

" Si l’arbre est entier et sec sur pied, les causes les plus fréquentes de mort ou d’affaiblissement sont la sécheresse, le gel, la foudre, les champignons et les insectes parasites, le feu, le compactage du sol, la pollution de proximité (fluor, dioxyde de soufre) ou la pollution diffuse liée aux transports et aux chauffages (oxydes d’azote, ozone). "

tiré de :

" Le guide des Curieux en forêt (toute la forêt en 301 questions-réponses) " par Ph. Domont, texte, et N. Zaric, illustrations Ed. Delachaux et Niestlé, 1999, 240 pages Vivement recommandé à tout amateur de nature " appliquée " !

L'article ci-dessus a paru le 7 août 2008 dans le Progrès-Courrier paraissant à Tavannes