Les plantes et le froid
par Eric Grossenbacher

Première chose, les plantes sont adaptées à leur milieu. Qui dit adapté, dit patrimoine héréditaire spécifique.

L’Edelweiss a reçu un patrimoine génétique lui permettant d’affronter le froid. Ce patrimoine est transmis, de génération en génération par la fécondation. Et tant qu’une mutation ne vient pas perturber ce phénomène, cela continuera ainsi. Combien de temps encore ? Nul ne le sait.

Arabette des Alpes Arabis alpina

Arabette des Alpes Cette espèce des rocailles, éboulis humides, rochers, suintements, alluvions, zones pierreuses des forêts montagnardes, possède une grande amplitude altitudinale et croît de l’étage collinéen dans le Jura (500 m) jusqu’à 3'000 m dans les Alpes.

C’est une espèce arctico-alpine et périalpine. Son patrimoine héréditaire lui permet de côtoyer la Linaire des Alpes Linaria alpina, l’Epilobe de Fleischer Epilobium fleischeri, le Céraiste à longs pédoncules Cerastium pedunculatum, l’Oxyris à deux styles Oxyria digyna comme premiers colonisateurs dans les débris morainiques des bords de glaciers, grâce à un système racinaire très développé. Qu’a-t-elle reçu en plus des quatre autres espèces (inféodées aux sols acides) citées pour pouvoir également coloniser la Chaîne jurassienne, calcaire à souhait ? Et les autres pas ? Et pourquoi s’est-elle « arrêtée » dans sa conquête vers le nord à la vallée de La Lucelle et dans les rocailles du Sundgau (Ferrette), sans atteindre les Vosges ni l’Alsace ? Ah, si les plantes pouvaient parler !

Photo de J.-F. Christians, 24 avril 2008


A l’opposé d’une plante alpine, l’Olivier, plante méditerranéenne par excellence, a reçu un tout autre patrimoine héréditaire. Cette adaptation à la sécheresse et à la chaleur ne lui permet pas de s’établir naturellement chez nous. Le froid le tuerait (exemple, durant l’hiver 2011-2012 au Rousseau de La Neuveville). Le sujet planté sur l’esplanade de l’hôtel se portait relativement bien. Mis en terre, il semblait donner raison au réchauffement climatique (remontée de l’Olivier vers le nord. Pour l’instant, la latitude nord de l’expansion de l’Olivier se trouve au bord du lac de Garde (non loin de Vérone). En 2013, au Rousseau, cet Olivier n’existe plus. Le froid a été le plus fort.

Ces deux exemples pour bien planter le problème : le patrimoine héréditaire permet à une espèce de se fixer en un lieu précis de la Terre (latitude, altitude, etc.). Et cela donne un équilibre à la flore, une flore qui ne peut pas pousser n’importe où.

La montée de l’eau dans la plante est primordiale. Une plante, un arbre par exemple, va supprimer cette montée de l’eau en perdant ses feuilles (tous les arbres à feuille caduque utilisent cette méthode). Le Mélèze est le conifère qui fait exception, il se comporte comme les feuillus, car les autres conifères gardent leurs feuilles (aiguilles).

Pour nos Epicéas et autres Sapins, Pins, Ifs, le froid de l’atmosphère ralentit la transpiration : l’appel de l’eau est nettement diminué. Là aussi, il y a adaptation : aiguilles diminuant la surface foliaire (par rapport au hêtre par exemple). Le Houx, lui, avec ses feuilles larges, favorise l’économie de l’eau (transpiration) grâce à une cuticule épaisse et en diminuant le nombre des stomates (équivalent des pores chez nous, les humains). C’est aussi héréditaire. Tous les Houx sont semblables entre eux. Ce n’est pas une accommodation, mais une adaptation, nuance.

Epicéa Picea abies

Epicéa Notre « Sapin rouge », Epicéa, peut s’accommoder au terrain. L’allure qu’il montre sur la photo est celle d’un arbre qui lutte contre les éléments hostiles : bas de pierrier. Si l’on récolte des graines d’un de ces arbres rabougris, et qu’on les sème dans un milieu qui lui est le plus favorable, soit dans la hêtraie à sapin, alors on recouvrera le bel Epicéa, celui qui peut atteindre 40 à 50 m de hauteur ! C’est un exemple typique d’accommodat.

Photo de Laurent Juillerat, 19.09.2006


Accommodation (non héréditaire) : les Hêtres à 1000 m d’altitude (droit, élancé, haut) ne sont pas les mêmes (d’aspect) que ceux croissant à 1'500 m, qui, eux, sont plus courts, tortueux), mais c’est la même espèce. Là, il y a accommodation.

L’adaptation (héréditaire) suppose que l’espèce a reçu un patrimoine génétique qui lui permet d’affronter les éléments extérieurs (chaleur, sécheresse), ou, au contraire, le froid. Le Baobab d’Afrique ne pourrait pas s’accommoder de vivre en pays froid. Et inversement, le Bouleau pubescent adapté au froid de la toundra ne pourrait pas s’accommoder à la chaleur africaine.

Accommodation et adaptation nous font comprendre pourquoi il est extrêmement difficile de planter des espèces n’importe où. Cela va pour certaines d’entre elles : prenons le Wellingtonia (= Sequoiadendron) qui atteint 120 m dans sa patrie d’origine ; chez nous, il arrive à un peu plus de 30 m. C’est une accommodation quant à sa taille. Mais prenons ses graines (pas plus grandes que le petit ongle de notre main), vous pouvez essayer de les planter chez nous… elles sont devenues stériles ! L’adaptation exige que le bon grain tombe dans la bonne terre. Une graine de Wellingtonia dans la Sierra Nevada pourra perpétuer l’espèce Wellingtonia. Chez nous, pas. Chez nous, il faut planter un arbre déjà sur pied.

L’écorce joue le rôle d’un manchon protecteur au froid (ou au chaud). Les cellules à l’intérieur du tronc sont ainsi protégées (Epicéas, Sapins, etc.), arbres qui supportent des températures plus basses que l’Olivier. Là où l’Olivier périt à cause du froid, les arbres de chez nous semblent bien supporter nos « grands froids ». C’est l’adaptation.

Les bourgeons (préparés à l’automne déjà) sont entourés d’épaisses écailles brunes disposées comme les tuiles d’un toit, imperméables à l’eau. Ces bourgeons passent l’hiver aisément. Le danger pour eux, ce sont ces réveils de printemps précoces, avec retours de froids (gels tardifs), qui peut les tuer. Cela arrive de temps à autre.

Pour les plantes alpines, il y a lieu de relever que les sucres présents dans les cellules sont des parades au froid. Comme la lumière en altitude favorise la photosynthèse, il y a accumulation de sucres dans les cellules. Le froid durant la nuit empêche l’écoulement des sucres dans les organes inférieurs, ce qui favorise un excès de sucres dans les organes supérieurs. Ce qui explique aussi les couleurs vives des fleurs en altitude. Pour les plantes d’altitude (plantes alpines), le manchon qu’est la couche de neige joue un rôle très, très important. Chez nous aussi.

Rôle de la neige :
« Ainsi la neige qui s’accumule dans les congères a pour effet de maintenir localement une température en permanence voisine de 0o C et une humidité constante quoique faible, cependant que des arêtes rocheuses toutes proches peuvent être battues par des vents très froids et extrêmement secs. A Davos (où le minimum absolu observé a été de -33,7o ) la température moyenne à la surface de la neige est voisine de -16o de décembre à février, cependant que sous 30 cm de neige elle est de -1,7o en décembre, de -5,3o en février ; enfin, sous 1 m, on a, en moyenne, respectivement, -0,6o et -0,2o. » / tiré de : « La vie en haute altitude », Coll. Que Sais-je ? No 629, par Jacques Guillerme, 1954.

La neige joue le rôle de « volant thermique ».

Fétuque naine Festuca quadriflora (F. pumila)

Fétuque naine Une des astuces pour lutter contre le froid est de limiter la surface d’évaporation. La Fétuque naine en est un magnifique exemple. Avec des feuilles enroulées-sétacées le nombre des stomates est ainsi limité à son maximum. Sa taille, son système radiculaire (hémicryptophyte), tout concourt à une adaptation au milieu ambiant. L’eau est ainsi économisée. L’habitat de cette Poacée (Graminée) témoigne d’éléments hostiles : pelouses, rochers, arêtes des étages subalpin à alpin des Alpes. Son aire d’expansion s’arrête à Chasseral dans la Chaîne jurassienne, en allant d’ouest en est. Pourquoi Chasseral et non pas le Weissenstein ? La géobotanique a encore de beaux sujets d’études en perspective. La photo est explicite à souhait.

Photo : Philippe Juillerat, 23.06.2003


A Delémont, aux TP de sciences, de modestes observations au Colliard (à 10 minutes du Collège), en plein hiver, nous ont permis de repérer quelques températures. C’était frappant de constater qu’à 2 m de hauteur, à la surface de la neige, sous la neige (à hauteur du sol), eh bien, les températures n’étaient pas les mêmes. Elles diminuaient d’une façon spectaculaire, le « chaud » se trouvant au niveau du sol, sous la neige.

Adaptation
La végétation d’une crête rocheuse, d’une combe à neige, d’un pierrier, etc., possède un cortège de plantes adapté à ces conditions changeantes. Pourtant les graines tombent partout, venant de partout… des quantités de graines qui ont une chance de croître seulement si elles tombent dans la bonne terre !

L’adaptation est omniprésente : on ne trouvera jamais le Saule herbacé (Salix herbacea), caractéristique des combes à neige, sur une vire rocheuse ! De même l’Epervière velue (Hieracium villosum), caractéristique des escarpements rocheux (elle est à Chasseral !), ne se trouvera pas dans une combe à neige.

Dans nos excursions de botanique, sur le terrain, il était facile de montrer les changements de la flore (associations végétales différentes), d’un endroit à l’autre. Les limites des associations étaient vraiment spectaculaires.

Prenons l’exemple des étangs de Bonfol. L’eau, la terre ferme, les marécages. Trois types de biotopes, voire plus, trois types de végétation (au moins). Sur place, c’est très spectaculaire.

Evidemment, comme pour la résistance au froid, le patrimoine héréditaire, et lui seul, permet à une plante d’être ici ou là, c’est selon.

Des astuces
La flore, pour lutter contre le froid, a plusieurs « astuces », la principale, c’est de limiter l’eau. Comment ? Par l’adaptation ! Les feuilles tombent en automne (la montée de l’eau stoppée à cause du froid et de la lumière moins longue dans la journée)… est la principale astuce. Mais les tissus intérieurs des cellules coopèrent en demandant moins d’apport extérieur. La force osmotique (une force très importante), ce phénomène qui amène l’eau du sol jusque tout en haut de la plante. Pensez aux Wellingtonia (120 m de hauteur dans son pays d’origine, la Sierra Nevada ; c’est la hauteur de l’antenne de Chasseral) dont les feuilles les plus hautes reçoivent leur eau ! A La Neuveville, le Wellingtonia près de la gare arrive à 34 m de haut. Chacune des feuilles reçoit son apport d’eau. C’est la force osmotique qui achemine l’eau du sol à la cime. Je n’ai pas encore observé un Wellingtonia (= Sequoiadendron) mourir de froid à La Neuveville.

Les plantes annuelles (germination – croissance – floraison – fructification – mort… en un an) meurent dans leur partie verte, mais subsistent grâce à leurs graines qui passent l’hiver à même le sol, voire dans l’humus supérieur du sol, là où les températures sont acceptables pour elles. Sous la neige, elles sont en sécurité. En revanche, les hivers sans neige peuvent être catastrophiques pour certaines plantes peu adaptées au froid. Cela explique des années à fleurs X en abondance, alors qu’une autre année, la fleur X a disparu du paysage.

J’ai observé ce phénomène à plusieurs reprises, chez nous, mais aussi dans les Alpes.

Plantes à bulbes, oignons, tubercules, rhizomes, racines tubéreuses, etc.

Plantes se rapportant à ce système de végétation (adaptation !):

Plantes à bulbes :

Lis, Oignon, Jacinthe, Tulipe, Narcisse, Jonquille… ont des organes (bulbes) à écailles, les unes charnues, les autres sèches, et des bourgeons. Dans tous les cas, la chute des parties aériennes herbacées stoppent l’activité des organes souterrains (la terre et la neige offrant une protection contre le froid vif en surface).

Jonquille Narcissus pseudo-narcissuss

Jonquille Notre « Cocatte » ou « Olive » passe la « mauvaise saison », soit l’hiver, le plus aisément qui soit, grâce à son gros bulbe ovoïde enfoui dans le sol à une profondeur d’environ 10 cm. C’est un bel exemple de géophyte (adaptat). Si son aire principale se situe dans nos prairies d’altitude, vers les 1'000 m, elle se rencontre également dans des endroits insolites. La dispersion des Jonquilles est du type barochore, c’est-à-dire que les graines tombent à proximité de la plante mère, ce qui explique la profusion de plants au même endroit.

Photo : Fabiennne Grossenbacher, 24.03.2012


Plantes à rhizomes :

Tiges ramifiées, porteuses de bourgeons, qui restent vivantes dans le sol. Muguet, Primevères, Renoncule âcre, Sceau de Salomon en sont des exemples. Les parties aériennes disparaissent durant l’hiver.

Plantes à tubercules :

Le cas de la pomme de terre est typique. Les agriculteurs plantent les tubercules, ils ne les sèment pas. Les tubercules sont soigneusement gardés à l’intérieur… de même que ceux de Dahlias.

Plantes à racines tubéreuses :

Carottes, Navet, Radis, Betteraves, etc., passent l’hiver « bien au chaud » ! Les caves sont de précieux endroits pour passer la « mauvaise » saison.

Conclusion

« Dans tous les cas, les organes qui persistent durant l’hiver sont protégés du froid, soit qu’ils sont déshydratés, soit parce qu’ils ont un revêtement isolant sous forme d’écailles cireuses, d’écorce (liège), etc., soit parce qu’ils sont recouverts de terre ou de débris végétaux… »
Je me souviens de Claude Favarger (1913 – 2006), de l’Uni de NE, qui nous disait dans son cours général de biologie végétale :

« Pour bien comprendre les plantes, il faudrait vivre comme elles, les pieds dans la terre ! »

Ou encore cet humoriste qui affirmait :

« Les hommes sont allés sur la Lune, mais ils ne savent toujours pas ce qui se passe sur le talus d’en face ! »

Eric Grossenbacher, La Neuveville, début avril 2013

(à la fin d’un hiver qui n’en finit pas)