Pinède à Céphalanthère Cephalanthero-Pinetum sylvestris
par Eric Grossenbacher
Le Gore-Virat : La montée du Gore-Virat, au nord de Corcelles (à l’est de Moutier) et sur le flanc sud de Raimeux, vaut le déplacement. De 655 m, altitude de Corcelles, vos pas vous conduiront par un sentier montant à l’altitude de 1101 m, entre les Raimeux de Corcelles et ceux de Crémines. Ce ruz (demi-cluse), car il s’agit bien d’un ruz, est parcouru par le Gore-Virat, petit torrent affluent du Gaibiat à Corcelles même. Gore-Virat, de Gore, lit de rivière avec de petites retenues dues à de petits barrages de carbonate de calcium (calcaire), et Virat, replat étroit le long d’un escarpement rocheux.
Cheminement : L’endroit est un petit paradis et, après avoir passé le gué qui se trouve à peu près en milieu de parcours, votre attention sera attirée par un « bois de Pin sylvestre ». En tout cas, pour nous, la curiosité nous a porté à faire un relevé botanique.
On peut gravir le Gore-Virat de deux manières : la première en suivant le cheminement classique au départ de Corcelles, en prenant la rive droite du petit torrent (à gauche en lisant la carte !), cet itinéraire épousant plus ou moins le cours du ruisseau (voir la photo des cascades du Gore-Virat). C’est en avril, à la fonte des neiges, que le torrent est le plus spectaculaire.
La seconde par la rive gauche via Le Chargeou en empruntant la charrière dans un premier temps et passant par les points 688 et 753 ; après avoir parcouru environ 200 m dans la hêtraie, prendre le sentier balisé qui part sur la gauche. Ce sentier longe de magnifiques pinèdes de Pins sylvestres qui apparaîtront sur votre droite en montant. Vous rejoignez le torrent vers les 900 m d’altitude.
Forêt de Pin sylvestre à Céphalanthère (Cephalanthero-Pinetum sylvestris)
Gore-Virat (carte 1:25'000 Moutier No 1106) Coord. env. 601 500 / 238 400
Altitude : env. 950 m Aire : 150 m2
Pente : env. 40 degrés Exposition : S
Situation : croupe sèche (voir photo) Sol : terre (pas de roche apparente)
Relevé : Eric Grossenbacher, La Neuveville Date : 13.8.1992
Abondance-dominance
sociabilité
Valeur de réaction (acidité–alcalinité)
Arbres : 80%
4
Pinus sylvestris (env. 10-15 m de haut)
.
.
x
.
.
1
Sorbus aria (5-8 m de haut)
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3
.
.
Arbustes : 30%
2
Sorbus aria
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3
.
.
1
Fagus sylvatica
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.
x
.
.
+
Acer pseudoplatanus
.
.
3
.
.
+
Viburnum lantana
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.
.
4
.
r
Lonicera alpigena
.
.
.
4
.
Herbes : 95%
1.2
Sesleria caerulea
.
.
.
.
5
3.2
Carex montana
.
.
.
4
.
1.2
Carex flacca (= C.glauca)
.
.
.
4
.
2.1
Adenostyles glabra
.
.
.
4
.
2.2
Mercurialis perennis
.
.
.
4
.
+
Lilium martagon
.
.
.
4
.
+.2
Asarum europaeum
.
.
.
4
.
+
Daphne laureola
.
.
.
4
.
1.1
Heracleum juranum
.
.
.
4
.
1.1
Rosa arvensis
.
.
.
4
.
+
Euphorbia amygdaloides
.
.
.
4
.
+
Fraxinus excelsior
.
.
.
4
.
+
Crataegus monogyna
.
.
.
4
.
+
-oxyacantha3
.
.
3
.
.
3.3
Brachypodium sylvaticum
.
.
3
.
.
+
Bromus ramosus
.
.
3
.
.
1.1
Prenanthes purpurea
.
.
3
.
.
+
Sanicula europaea
.
.
3
.
.
+
Fragaria vesca
.
.
3
.
.
+
Acer pseudoplatanus
.
.
3
.
.
+
Knautia sylvatica
.
.
3
.
.
+o
Picea abies
.
.
x
.
.
1.1
Vaccinium myrtillus
1
.
.
.
.
Note : Non loin de là, mais où le sol retient davantage l'humidité : Molinia arundinacea (= M. litoralis) ; mais encore Cephalanthera longifolia, Epipactis latifolia, Laserpitium latifolium, Brachypodium pinnatum observés sur notre parcours Corcelles – Raimeux (montée par le Gore-Virat) – descente par la charrière de Crémines.
Prière de consulter : MEMOIRES, vol.48, fasc.4 (1972), d'Ellenberg et Klötzli.
Institut Suisse de Recherche forestière
Abondance-dominance (premier chiffre dans l’échelle de Braun-Blanquet) :
5
75% et plus,
de recouvrement de la surface totale
4
50 à 75%
-
3
25 à 50%
-
2
5 à 25 %
-
1
5
-
+
peu nombreux
r
rare
exposant o plante à vitalité réduite
Sociabilité (second chiffre dans l’échelle de Braun-Blanquet) :
5-4
peuplement plus ou moins dense
3
groupements isolés
2
touffes
1
individus isolés
Remarque : De plus en plus, le second chiffre (sociabilité) n’est plus usité. En effet, en phytosociologie on se contente désormais de l’échelle d’abondance-dominance uniquement. Mais il est incontestable que la sociabilité apportait un petit complément utile. Par exemple, pour Asarum europaeum, +.2 signifiait « peu mais en touffes… ». C’est plus imagé. Dans la nouvelle formulation, seul le + (peu) est retenu… Les anciens phytosociologues utilisaient avec constance la double numérotation. Avec raison, selon nos goûts… Lorsqu’on parcourt les listes de plantes des phytosociologues de la première génération (Josias Braun-Blanquet, Max Moor, Jean-Louis Richard, etc.), c’est un régal de constater les nuances qu’apportent ces doubles chiffres : une véritable partition musicale !
Quelques commentaires :
Ce qui nous a attiré lors du parcours, c’est la pinède visible du sentier, sur la droite en montant, vers 900 m d’altitude. N’oublions pas que la hêtraie domine à outrance le flanc sud de Raimeux… Voir apparaître une pinède en pleine hêtraie peut étonner plus d’un botaniste, surtout si elle ne coiffe pas un éperon rocheux calcaire !
La carte de répartition d’Ellenberg et Klötzli indique clairement la rareté de cette association végétale en Suisse, page 744.
Le Pin sylvestre, espèce de lumière, est un élément subboréal (eurosibérien) qui est apparu dans nos contrées à l’époque préboréale, de -8'200 à -6'800, alors que le climat sec connaissait un réchauffement. Le Pin sylvestre était accompagné des Bouleaux et des Saules. Il domine nettement la strate arborescente : sa cotation 4 de notre relevé reflète sa haute présence.
La majorité des plantes a une cotation pour les valeurs de réaction de 3, 4, voire même 5 (pour Sesleria caerulea, hôte privilégié des rochers calcaires), ce qui dénote le caractère alcalin de cette pinède.
Un seule plante détonne dans ce bois de pins : le Myrtillier (Vaccinium myrtillus). La situation de cette pinède sur une croupe favorise l’effet de lessivage par les pluies, acidifiant ainsi la partie supérieure des sols.
Daphne laureola est très présent dans la partie nord de l’ancien Jura bernois des 7 districts, pratiquement nul dans le sud.
La présence d’Heracleum juranum (Berce du Jura), unique endémique de la Chaîne jurassienne, indique que nous approchons la barre des 1000 m d’altitude… Il est rare de l’observer plus bas dans la Chaîne jurassienne. Pourquoi les botanistes l’ont-ils appelée Heracleum sphondyllium ssp. alpinum ? En effet, cette plante n’existe pas dans les Alpes. Et le nom de Berce du Jura lui va si bien…
Si nous nous déterminons pour l’association Cephalanthero-Pinetum, c’est en consultant le recueil MEMOIRES. Par comparaison, notre relevé ressemble étonnamment à la liste des plantes d’Ellenberg & Klötzli. Toutes les espèces soulignées dans notre liste de plantes sont notées chez Ellenberg / Klötzli. De même, en consultant « Stations forestières », vol. 2, nous arrivons également à la Pineraie à Orchidées (No 62, page 105). Voir bibliographie.
La carte de répartition de MEMOIRES, en page 744, indique deux endroits pour notre dition des 7 districts : Ajoie et région de Moutier. Quant à « Stations forestières », vol. 2, page 105, seul Moutier est cité.
Petit essai de classification : Inspiré du cours donné à l’Uni de Neuchâtel durant le semestre d’hiver 1973/74 par Jean-Louis Richard, 1921-2008, phytosociologue.
Pinèdes à dominance de Pin sylvestre (Pinus sylvestris)
Classe :
Erico-Pinetea (pinède des sols bruts calcaires)
Ordre :
Erico-Pinetalia (idem)
Alliance :
Erico-Pinion (pinède subcontinentale basophile)
Associations :
Cephalanthero-Pinetum sylvestris (pinède à Céphalanthères)
Molinio-Pinetum (pinède des pentes marneuses)
Calamagrostio variae-Pinetum (vicariant altitudinal du Molinio-Pinetum)
Bellidiastro-Pinetum (versants ombragés en opposition au Coronillo-Pinetum)
Note : « Les pinèdes ont la particularité d’être dispersées dans des régions climatiques et sur des types de sols très divers. Leur cortège floristique est influencé aussi bien par des conditions écologiques actuelles que par les influences biogéographiques auxquelles elles ont été soumises lors de lacolonisation postglaciaire. Pour ces raisons, leur classification est complexe etcontroversée. » - Raymond Delarze, Yves Gonseth et Pierre Galland dixit.
(voir chiffre 4 ci-dessous)
Remerciements :
A M. et Mme Francis et Jacqueline Jeanprêtre, de Corcelles, qui, dans les années 90 du siècle passé, m’ont fait découvrir le Gore-Virat.
A Etienne Chavanne, de Moutier, auteur des magnifiques photos, en date du 21 avril 09.