Grémil pourpre-bleu

Max Moor, 1911-1988, botaniste bâlois, Dr honoris causa de l'Université de Neuchâtel (1971), pionnier de la phytosociologie dans le Jura, auteur de nombreuses publications scientifiques.

  Sur les pas de Max Moor
par Eric Grossenbacher

La Neuveville, 1974

Fraîchement établi dans cette petite cité, quoi de plus naturel que de se pencher sur la flore des alentours. A commencer par une fleur très rare dans la Chaîne du Lac : le grémil rouge- bleu ou pourpre-bleu Buglossoides purpurocaerulea (= Lithospermum purpurocaeruleum).

Et d’abord, que disent les livres ? Charles Krähenbühl, dans son Répertoire 1970 dit pour la région de La Neuveville, au sujet de cette plante : Chaîne du Lac… Entre nous, c’est grand, la Chaîne du Lac…, et malaisée à parcourir ! Max Moor, en 1940, va nous en dire un peu plus dans sa publication Pflanzensoziologische Beobachtungen in den Wäldern des Chasseralgebietes (Berner und Neuenburger Jura), parue dans le Bulletin de la Soc. bot. Suisse, Band 50, 1940.

Grémil pourpre-bleu En page 548… Max Moor nous donne 4 relevés d’un Querceto-Lithospermetum = Lithospermo-Quercetum = Coronillo-Quercetum Moor 1962 : la chênaie buissonnante, dont deux concernent directement La Neuveville, les deux premiers. Soit :
  1. « Sur les Côtes nordöstlich Neuveville (Kt. Bern), sehr steiler Südhang mit einzelnen Kalkfelsstufen. »
  2. « Gleicher Ort wie vorige Aufnahme, ca. 400 m davon entfernt ». Avec 62 espèces citées pour le relevé No 2.
« La chênaie buissonnante riche en espèces subméditerranéennes, occupe les endroits les plus secs et les plus chauds de l’étage des collines, ainsi que les pentes raides constituées de calcaires autochtones et exposées au sud. » Max Moor, 1955

Cette forêt campe juste au-dessus des vignes le long de la Chaîne du Lac. Il est très difficile de s’y promener, vu la pente et son sol rocailleux. Elle occupe une situation intermédiaire entre la vigne et la hêtraie à Carex, hêtraie chaude par excellence.

« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es »…

Justement (relevé No 2), Max Moor énumère les espèces de première grandeur et d’arbustes suivants : Quercus sessiliflora, Q. pubescens, Acer opalus, A. campestre, Sorbus aria, Hedera helix, Coronilla emerus, Cotoneaster tomentosa, Rhamnus cathartica, Berberis vulgaris, Ligustrum vulgare, Crataegus monogyna, C. oxyacantha, Fagus sylvatica, Evonymus europaeus, Viburnum lantana, Lonicera xylosteum, Cornus sanguinea, Coryllus avellana, Juniperus communis, Prunus avium, Rosa sp. … Cette chênaie mérite bien son nom : chênaie buissonnante !

Parmi les plantes formant le tapis végétal : Lithospermum purpurocaeruleum,Limodorum abortivum, CephalantL’association végétale enchantéehera alba, Campanula persicifolia, Geranium sanguineum, Trifolium rubens, Primula veris ssp. columnae, Lathyrus niger, Orobanche hederae, Anthericum liliago, Melittis melissophyllum, Viola mirabilis, Laserpitium latifolium, Anemone hepatica, etc.

Mais encore (à propos du relevé No 2) :
Altitude : 560 m
Pente : 40o
Exposition : sud
Aire du relevé : 200 m2

J’ajouterai que l’accès est loin d’être aisé, de loin s’en faut !

« Nordöstlich Neuveville 1940 »

En 1974, prenant la carte Bieler See No 1145 à témoin, j’avisai la région « nordöstlich Neuveville » à la lettre, soit sur l’ordonnée 575’000, ce qui me conduisit au nord de Poudeille en pleine Chaîne du Lac, et à l’altitude de 560 m. Peine perdue – mais ce n’est pas faute d’avoir cherché – je rentrai bredouille ! Reprenant la carte, et cherchant à comprendre mon erreur, j’en arrivai à la conclusion suivante : Max Moor a raisonné pour l’an 1940 et moi pour 1974… Quelle erreur de ma part ! Corrigeant mon point de départ, et me fixant sur l’ordonnée 573’750 (fin de la rue des Faubourgs à l’est), je me profilai au nord-est pour arriver au Gibet.

Eurêka ! Evidemment, en 1940, le chemin des Prés-Guëtins qui continue les Faubourgs vers l’est ne connaissait pas encore toutes les constructions que nous pouvons voir depuis 1974 à nos jours.

Quel spectacle !

A peine avais-je doublé le Gibet que j’aperçus la station No 2 de Max Moor… en contrebas du chemin montant. Impossible de se tromper… c’était bien là ! Toutes les plantes citées par le botaniste bâlois étaient bien présentes, sauf une : le Grémil pourpre-bleu. En revanche le Limodorum, rareté s’il en est, était bien présent et tout le cortège des autres plantes aussi. Pourquoi le Grémil était-il absent ? Max Moor lui avait pourtant donné la cote 1.2 selon l’échelle de Braun-Blanquet, soit « nombreux, mais moins de 1/20 de la surface totale et formant des touffes ». Proche du sentier, je suppose que cette magnifique fleur a été cueillie par les passants : les bouquets devaient être magnifiques.

D’autres stations

La Chaîne du Lac abrite d’autres stations où le Grémil pourpre-bleu ne risque pas d’être cueilli. En effet, Germain Gigon, de Bienne, m’a présenté une splendide frênaie, loin des sentiers, dans laquelle la cote 4 (recouvrement de ½ à ¾ pour un are !) a été attribuée par son fils Michel dans son travail de licence (1980), pour une association qu’il a nommée Galio-Fraxinetum (Frênaie nitrophile à Anémone hépatique). Aucun danger pour cette station car elle est éloignée des sentiers… Il ne peut exister meilleure protection que l’éloignement. Plus tard, avant 1994, nous eûmes la surprise de découvrir une autre station, beaucoup plus modeste, soit, mais avec une cote de 1.2 dans l’échelle de Braun-Blanquet pour Lithospermum purpurocaeruleum. Et, ce qui ne gâte rien, loin des sentiers…

Remarque finale

Depuis 1974, chaque fois que je passe sur le sentier du Gibet de La Neuveville, j’ai un œil attentif sur la « station Max Moor », mais pas trace de Grémil, hélas…

E.Gr, La Neuveville, février 09

Article paru dans le bulletin "Forêt Bernoise" No 2, d'avril 2009