Forêt de Chênes verts
(ou chênaie d’Yeuse) Quercetum galloprovinciale = Quercetum ilicis par Eric Grossenbacher
« La chênaie d’Yeuse méditerranéenne (forêt de Chênes verts) trouve son plein développement dans la plaine languedocienne. » Josias Braun-Blanquet, 1936
Chêne vert (Yeuse)
arbre au tronc court et souvent tortueux, de 5 à 20 m de haut,
longévité : 200 500 ans
rejette de souche (tige apparaissant à la base du tronc)
feuilles d’un vert foncé, petites, de 3 à 5 cm de long, coriaces, sempervirentes, de formes
diverses : entières, lâchement dentées ou épineuses (fait penser au Houx…)
racine pivotante (peut s’enfoncer jusqu’à 10 m de profondeur : jamais couché par le vent !)
espèce héliophile et thermophile (mais résistante au froid : supporte jusqu’à -16 degrés centigrades)
étage collinéen surtout, et base de l’étage montagnard (par exemple au Pic St-Loup)
s’accommode bien des sols très caillouteux, siliceux ou calcaires
utilisé autrefois dans la construction des bateaux par les Romains (50 arbres étaient nécessaires pour un seul bateau…), charronnage, charpente, traverses de chemin de fer, etc.
excellent combustible : très bon charbon de bois
A titre d’exemple, le Pic St-Loup
Le Pic St-Loup, au nord de Montpellier et à 25 km du bord de la mer, culmine à 658 m d’altitude. Il se remarque de loin lorsque nous sommes dans la région de Montpellier. En effet, la plaine languedocienne avoisine les 100 m d’altitude de moyenne. Pour se rendre au Pic St-Loup, le mieux, en venant de Nîmes, c’est d’éviter le centre de Montpellier en sortant de l’autoroute à Vandargues (prendre impérativement la nationale D 65 qui évite Montpellier par le nord, et la suivre sur une douzaine de km en direction ouest). Ainsi, vous éviterez le centre de Montpellier. Puis, avisant la D 986, vous partez à angle droit direction nord-ouest, direction Ganges, mais, 13 km plus loin, une bifurcation sur votre droite vous indiquera la
D113 E, puis 1 km plus loin, et encore à droite, simplement la D113 ; encore deux km et vous êtes à Cazevieille, 300 m d’altitude : c’est votre point de chute. Dès cet instant, vous laissez votre voiture au parc et, pedibus cum jambis, vous pourrez entreprendre l’ascension du Pic St-Loup, face sud. N’oubliez pas de prendre avec vous une réserve d’eau !
Côté botanique, le Pic St-Loup nous offre un flanc sud, l’adret, couvert par la forêt de Chênes verts Quercus ilex, et une face nord, l’ubac, abrupte, colonisée à son pied par la forêt de Chênes blancs Quercus pubescens. Les roches calcaires du Pic St-Loup datent de l’époque Jurassique. Le sommet ne s’atteint que par le flanc sud ; la face nord est réservée aux alpinistes et n’est pas sans rappeler celle de l’Eiger, dans l’Oberland bernois, mais en petit…
Ascension du Pic St-Loup
Il suffit de suivre le chemin balisé. Elle se fait dans un premier temps parallèlement à la crête et au pied sud du pic par un sentier en légère pente, puis, attaquant carrément l’ascension, car c’en est une d’ascension, vous vous hisserez tant bien que mal jusqu’au sommet, en vous accrochant, qui à une racine, qui à un tronc, voire même à des rochers bien placés.
Par comparaison mathématique, le profil de l’ascension rappelle une courbe exponentielle…
Arrivé en haut (il faut bien compter deux bonnes heures de montée, sans botaniser), le panorama en vaut la peine : au sud la plaine languedocienne avec dans le lointain la Méditerranée ; à l’ouest et par temps clair on aperçoit les Pyrénées ; au nord, tout proche, l’Horthus, 512 m, une chaîne calcaire impressionnante, et, dans le lointain, les Cévennes ; à l’est, on peut distinguer le mont Ventoux par bonne visibilité.
Des Martinets alpins, au ventre blanc, vous tiendront en haleine par leurs vols rapides, puissants, glissant souvent avec leurs ailes abaissées.
Du sommet, quand on regarde la garrigue vers le sud, à perte de vue au pied du Pic St-Loup, il est facile de s’imaginer que, dans les siècles passés, cette superficie était entièrement recouverte par la forêt de Chênes verts…
Quoi que l’on pense, la descente ne sera pas plus facile que la montée… car vos fesses (d’aucune utilité lors de l’ascension ou si peu) vous seront fort utiles !
La forêt de Chênes verts
Liste des plantes notées le long du sentier (comme la « prise d’un pion en passant » au jeu d’échec), sous la conduite de Benoît Garrone, de l’Uni de Montpellier :
Il est évident que c’est le Chêne vert Quercus ilex qui est le maître et seigneur de cette forêt du Pic St-Loup. Toutes les autres espèces profitent de sa présence. Il domine le flanc sud, au point qu’on ne voit que lui… Nous lui donnerions sans hésitation la cote 5.4 (plus des ¾ de la surface totale pour un peuplement plus ou moins dense) dans l’échelle de Braun-Blanquet. A ce sujet reportez-vous sur www.filago.ch, rubrique « magazine » : Forêt de Pin de Salzmann.
Ce qui caractérise la présence des espèces citées, c’est leur faculté à conserver l’eau dans leurs cellules. Pour y parvenir, donc limiter au maximum la transpiration par les stomates, plusieurs modes d’adaptations sont représentés :
Malacophyllie (molles au début, les feuilles durcissent avec l’âge tout en élargissant leur limbe ; cuticule pauvre en stomates) ; exemples : Chêne vert Quercus ilex, Laurier-tin Viburnum tinus, Arbousier Arbutus unedo, Chêne-kermès Quercus coccifera, Nerprun alaterne Rhamnus alaternus, Buis Buxus sempervirens, Pistachier térébinthe Pistacia terebinthus, Chèvrefeuille de Mahon Lonicera implexa, Fragon Ruscus aculeatus, Salsepareille Smilax aspera, Garance voyageuse Rubia peregrina, Buplèvre raide Bupleurum rigidum, etc.
Microphyllie (surface réduite des feuilles) ; exemples : Brachypode rameux Brachypodium retusum (= B. ramosum), Laiche de Haller Carex halleriana, Rouvet Osyris alba, etc.
Toutes ces facultés en économie d’eau sont héréditaires : ce sont des adaptations qui
sont transmises de mère en fille. A ne pas confondre avec des accommodats qui, eux ne sont pas héréditaires. En effet, si l’on s’avisait de planter une espèce non adaptée à la chênaie d’Yeuse sempervirente, elle périrait de soif… car elle ne survivrait pas à la sécheresse estivale caractéristique du climat méditerranéen.
La chênaie verte est une remarquable adaptation : c’est la forêt climax, c'est-à-dire la forêt en équilibre avec son milieu au stade ultime d’évolution de la flore
méditerranéenne.
Des études ont montré que la pression osmotique (phénomène responsable de la montée de l’eau dans la plante) est plus faible pour les espèces à l’intérieur de la forêt que lorsque ces mêmes plantes poussent à découvert, par exemple dans la garrigue. Economie de l’eau !
La forêt de Chênes verts du Pic St-Loup est une forêt relicte qui ne doit sa survie qu’à une situation malaisée de toute exploitation par les hommes, en particulier des verriers du Moyen Age.
C’est une aubaine pour les visiteurs de traverser une telle forêt tout en profitant d’un panorama offert par une montagne très attachante. Le Guide Michelin vert octroie deux étoiles au Pic St-Loup (vaut le détour). Fort modestement, nous y ajouterions une étoile en plus, celle du botaniste…
Forêt d’Yeuse (Chêne vert)
Relevé d’un individu d’Association
Quercetum galloprovinciale = Quercetum ilicis
Date :
mardi 14.05.2002
Lieu :
forêt de Boscorre, sortie sud de Puéchabon (15 km au NW de Montpellier) en direction d’Argelliers
Altitude :
140 m
Aire :
300 m2
Aspect :
Chênes verts de 5-10 m de hauteur
Sol :
sol jonché de gros cailloux calcaires apparents
Pente :
10-15%
Exposition :
nord
Botaniste :
E.Gr (Université populaire jurassienne, 2002)
Arbres
Recouvrement :
90%
Hauteur :
env. 5-10 m
4
Chêne vert = Yeuse
Quercus ilex
r
Pin d’Alep
Pinus halepensis
Arbustes
Recouvrement :
20%
Hauteur :
jusqu’à env. 2 m
1
Buis
Buxus sempervirens
1
Genévrier cade
Juniperus oxycedrus
+
Pistachier térébinthe
Pistacia terebinthus
+
Lonicéra d’Etrurie
Lonicera etrusca
+
Salsepareille
Smilax aspera
r
Arbousier
Arbutus unedo
r
Bruyère multiflore
Erica multiflora
ro
Amélanchier
Amelanchier ovalis
Strate herbacée
Recouvrement :
10%
Hauteur :
30 à 40 cm
1
Epervière étoilée
Hieracium stelligerum
1
Garance voyageuse
Rubia peregrina
+
Badasse
Dorycnium suffruticosum
+
Brachypode rameux
Brachypodium retusum (= B. ramosum)
+
Fragon
Ruscus aculeatus
+
Asperge
Asparagus acutifolius
r
Aristoloche
Aristolochia pistolochia
r
Viorne-tin
Viburnum tinus (20 cm de haut !)
r
Euphorbe characias
Euphorbia characias
ro
Thym vulgaire
Thymus vulgaris
Remarques :
Le lecteur pourra comparer nos deux listes de plantes… Entre la simple énumération des espèces rencontrées au Pic St-Loup et le relevé de Puéchabon, la présentation avec cotation est plus imagée. Le lecteur « voit » mieux la forêt.
Les nombres de gauche se rapportent à l’échelle d’ « abondance-dominance » de Braun-Blanquet.
Rappelons au lecteur qu’une « Association végétale » est une notion abstraite de la botanique, plus particulièrement de la phytosociologie. Elle n’apparaît que dans les livres ! En effet, ce qui existe sur le terrain est un « individu d’Association » qui, lui, bien réel, est l’objet d’un relevé par les phytosociologues. Tous les relevés provenant d’un même type de végétation, se ressemblant entre eux plus qu’à tout autre, sont réunis dans un tableau synthétique, et dûment comparés. De là naît une Association végétale. Par exemple, Josias Braun-Blanquet, pour son étude de la chênaie d’Yeuse, en 1936, a réuni 34 relevés dans un tableau en provenance de différents endroits (dont deux d’Argelliers). En consultant ce tableau
synthétique, on aperçoit aisément les espèces qui se répètent dans un ordre constant. Il s’en dégage une hiérarchie et, de là à lui donner un nom, il n’y a qu’un pas… Qu’est-ce qui ressemble le plus à une chênaie d’Yeuse ? Une autre chênaie d’Yeuse ! C’est le Quercetum galloprovinciale ou Quercetum ilicis des phytosociologues. Et où classe-t-on cette Association ? Voir ci-dessous.
L’exposant o pour le Thym vulgaire signifie que cet exemplaire manque de vitalité (« il n’est pas à sa place » et montre un manque de santé évident). En effet, le Thym vulgaire est une plante de garrigue. C’est celui que l’on utilise en cuisine…
Le Brachypode rameux est l’herbe à moutons, présent en masse dans la garrigue.
Bibliographie
La Chênaie d’Yeuse méditerranéenne (Quercion ilicis)
Monographie phytosociologique et forestière
SIGMA*, Communication No 45, 150 pages, Montpellier, 1936
Josias Braun-Blanquet
* SIGMA : Station Internationale de Géobotanique Méditerranéenne et Alpine
Les Groupements végétaux de la France méditerranéenne
Josias Braun-Blanquet
CNRS, 300 pages, 1952
Guide du naturaliste dans le Midi de la France
Tome I La mer, le littoral, 320 pages / « Grand prix rhodanien de littérature »
Tome II La garrigue, le maquis, les cultures, 400 pages
Hervé Harant et Daniel Jarry
Editions Delachaux & Niestlé, 1967 / 1973
Eloge du Pic St-Loup
Vincent Bioulès (dessins) et Benoît Garrone (biologiste)
Ecologistes de l’Euzière, 160 pages, 2009
Domaine de Restinglières
34730 Prades-le-Lez (Hérault, France)
On peut commander cette plaquette sur le site www.euziere.org (40 Euros + port).
Cartes
IGN No 66 Avignon-Montpellier / 1 : 100'000
(pour la sortie d’autoroute avant Montpellier)
IGN No 65 Béziers-Montpellier / 1 : 100'000 (pour Puéchabon)
IGN No 2742 ET / TOP 25 Ganges / St-Martin-de-Londres / Pic St-Loup / 1 : 25’000
Remerciements
Josias Braun-Blanquet (1884-1980), Montpellier ; Benoît Garrone, Montpellier ;
Albert Affolter, Tramelan ; Claude Fiore, Genève ; Marie-Rose Krebs, Bienne ;
André Rossel, Tramelan ; Elsi Wepf, Dietwil AG