Pineraie de montagne à Lycopodes
ou
Pineraie des crêtes (Lycopodio-Mugetum = Huperzio-Pinetum uncinatae)
« La pineraie des crêtes s’agrippe aux sols recouverts d’une forte couche d’humus brut des arêtes rocheuses balayées par le vent de l’étage montagnard.
Elle est strictement localisée à l’exposition nord ». - Max Moor, 1955
Où se cachent-elles, ces pineraies des crêtes ?
Eh bien, chers lecteurs, pour les visiter… il faut les mériter ! Plusieurs heures de marche vous seront nécessaires pour les atteindre :
Crêt-de-la-Neige (Ain, France), plus haut sommet de la chaîne jurassienne avec ses 1720 m d’altitude ; Mont-d’Or (France), 1463 m ; Dent-de-Vaulion VD, 1483 m ; Creux-du-Van (Dos-d’Ane) NE, 1342 m ; Hasenmatt SO, 1445 m.
Mais avant de vous « mettre l’eau à la bouche » avec le Lycopodio-Mugetum faisons un petit tour d’horizon des pinèdes accrochées aux rochers de notre Chaîne jurassienne :
Pineraie ou pinède à Coronille Coronillo-Pinetum (croupes rocheuses calcaires ensoleillées avec comme arbres le Pin sylvestre Pinus sylvestris jusqu’à 1000 m d’altitude - remplacé au-dessus par le Pin à crochet Pinus mugo ssp. uncinata - et l’Alouchier Sorbus aria, arbres atteignant à peine 5 m de hauteur ; parmi les herbes, une espèce y trouve son optimum écologique : la Coronille engainante Coronilla vaginalis, caractéristique d’Association).
Pineraie à Bellidiastre Bellidiastro-Pinetum = Asteri bellidiastri-Pinetum uncinatae (remplace la pinède à Coronille sur les flancs nord et les mêmes sols rocheux, avec Pinus sylvestris et Pinus mugo ssp. uncinata comme espèces vicariantes d’altitude ; le Bellidiastre de Micheli Bellidiastrum michelii, de son nouveau nom Aster bellidiastrum Fausse Pâquerette, trouvant ici son optimum écologique).
Pineraie de montagne à Lycopodes Lycopodio-Mugetum = Huperzio-Pinetum uncinatae (voir détails ci-dessous)
Non présente dans le canton du Jura et le Jura bernois
Relevés botaniques (Lycopodio-Mugetum ou Huperzio-Pinetum uncinatae)
Lieu : Crêt-de-la-Neige (Ain, France) / 12 km au NWW de Genève
Botanistes :
Jean-Louis Richard
Claude Béguin
Cours universitaire
Stage d’été du corps enseignant suisse
Dates :
02.07.1972
17.07.1980
Altitude :
1560 m
1570 m
Sol :
a) humus brut en surface, sur 20 cm : pH 4; la décomposition se fait mal
a) humus brut: pH 3,9 idem
b) terre noire à pH 7 continuant dans les fentes
b) idem
Sous-sol :
roche calcaire très dure ne produisant pas d’argile
calcaire caillouteux
Exposition :
N
NNW
Pente :
50o
25o
Aire :
100 m2
100 m2
Arbres
Hauteur :
1-8 m
4 m
Recouvrement
40 %
5 %
Pinus mugo ssp. uncinata
3.2
2.2
Sorbus chamaemespilus
1.2
.
Sorbus aucuparia
+
.
Sorbus mougeoti
+
.
Salix grandifolia
+
.
Picea abies
r
.
Arbustes, arbrisseaux
Hauteur :
30-50 cm
30-50 cm
Recouvrement :
50 %
60 %
Rhododendron ferrugineum
3.3
3.1
Vaccinium myrtillus
2.2
3.3
Vaccinium vitis-ideae
1.2
2.2
Vaccinium uliginosum
+
4.5
Empetrum hermaphroditum
2.2
.
Sorbus aucuparia
.
+
Sorbus chamaemespilus
.
+
Picea abies
.
+0
Juniperus nana
.
+0
Strate herbacée
Hauteur :
5-30 cm
5-30 cm
Recouvrement :
60 %
45 %
Lycopodium annotinum
3.4
3.4
Huperzia selago (= Lycopodium selago)
+.2
+.2
Empetrum nigrum ssp. hermaphroditum
+.2
+.2
Salix retusa
+.2
+
Carex sempervirens
ro
1.2
Carex ornithopoda
.
+.2
Sesleria caerulea
+o
1.2
Luzula sylvatica
+
.
Melampyrum sylvaticum
+
+
Orthilia secunda = Pyrola secunda
+
1.3
Pyrola minor
+
.
Homogyne alpina
+
1.1
Soldanella alpina
+
+
Listera cordata
+
.
Galium pumilum
r
.
Pritzelago alpina (= Hutchinsia alpina)
.
1.2
Dryas octopetala
.
1.3
Saxifraga rotundifolia
.
+
Bartsia alpina
.
+
Polygonum viviparum
.
+
Hieracium murorum
.
r
Potentilla erecta
.
r
Pinguicula alpina
.
+.2
Lichens et Mousses (ensemble, taux de recouvrement : 80 %)
Lichens
Cladonia gracilis ssp. elongata
+.2
Présence de lichens
Cladonia rangiferina
1.2
Cladonia sp.
+
Cetraria islandica
2.2
Mousses
Sphagnum acutifolium
3.3
Présence de mousses
Pleurozium schreberi
3.3
Dicranum scoparium
1.2
Polytrichum formosum (= P. attenuatum)
1.2
Hylocomium splendens
1.2
Rhytidiadelphus loreus
+.2
Rhytidiadelphus triquetrus
+.2
Commentaires
Le relevé de J.-L. Richard représente un individu typique de la pinède des crêtes. Les espèces caractéristiques de l’Association (soulignées dans la liste) sont : Rhododendron ferrugineum, Empetrum nigrum ssp. hermaphroditum et Huperzia selago = Lycopodium selago. Rappelons que l’on appelle espèce caractéristique une plante qui a son optimum écologique dans un groupement végétal.
Ce sont les mousses et les lichens qui forment le biotope.
La pinède des crêtes occupe les stations froides, humides, fraîches : longue durée d’enneigement ; le sol et le sous-sol sont souvent gelés, même au mois d’août ! Dans la Chaîne jurassienne, le Lycopodio-Mugetum est la dernière station en altitude qu’un arbre puisse encore coloniser dans la zone de combat contre le vent et le froid.
Tous ces facteurs limitent non seulement la croissance des arbres, mais également le nombre d’espèces. De plus, la période de végétation relativement courte sur les versants nord, 3 à 4 mois, implique l’élimination de l’Epicéa, ou, s’il arrive à s’installer, il apparaît sous forme rabougrie.
L’acidité des sols limite également le nombre des espèces.
On peut s’étonner de trouver une flore acidophile sur roches calcaires dans le Jura… Les lichens et les mousses, d’abord, les plantes acidophiles ensuite, forment un manchon isolant la végétation de surface du sous-sol calcaire. Et cette végétation ne reçoit que de l’eau de pluie, d’où une acidification en surface. Il n’est donc pas étonnant du tout de trouver dans ces stations un cortège de plantes acidophiles telles que : le Rhododendron ferrugineux (Rhododendron ferrugineum), des Lycopodes (Huperzia selago et Lycopodium annotinum), des Airelles (Vaccinium sp.), la Luzule des bois (Luzula sylvatica), la Camarine (Empetrum nigrum ssp. hermaphroditum), le Mélampyre des bois (Melampyrum sylvaticum), des Pyroles (Orthilia secunda et Pyrola minor), la Potentille dressée (Potentilla erecta), la Listère cordée (Listera cordata), etc.
La neige appuie de tout son poids sur la végétation, ce qui explique le nombre relativement grand d’arbres couchés.
Les photos en noir et blanc qui illustrent cette petite étude ont été prises par votre serviteur lors de l’excursion conduite par Claude Béguin en 1980 ; celle en couleurs est due au talent de Denise Primault.
Le lecteur curieux trouvera dans l’étude de Jean-Louis Richard « Les forêts acidophiles du Jura », 1961, tous les secrets concernant la Pinède des crêtes. Il sera convaincu alors que c’est au Crêt-de-la-Neige qu’il doit aller en priorité pour y trouver les plus beaux exemples de Pinèdes des crêtes de la Chaîne jurassienne.
Bibliographie
Les forêts acidophiles du Jura
Etude phytosociologique et écologique
Jean-Louis Richard
Ed. Hans Huber, Berne, 164 pages, 1961
La végétation des crêtes rocheuses du Jura
Jean-Louis Richard
Institut de Botanique de l’Université de Neuchâtel, 1971
Ber. Schweizer. Bot. Ges. 82 (1), 68-112 (1972)
Mémoires
Heinz Ellenberg und Frank Klötzli
Institut Suisse de recherches forestières, 1983
Stations forestières du canton du Jura et du Jura bernois
2 volumes avec clé de détermination
Plusieurs auteurs
Service et Office des forêts du canton du Jura et du Jura bernois, 1998
Moosflora
J.-P. Frahm et W. Frey
Avec 108 tableaux (dessins de J. Döring)
Verlag Eugen Ulmer, Stuttgart, 522 pages, 1983
Guide des Fougères, Mousses et Lichens d’Europe
H.-M. Jahns
Roger Miesch, traduction française
Ed. Delachaux & Niestlé, 258 pages, 658 illustrations en couleurs, 1989
Carnets de notes personnelles
Eric Grossenbacher
a) relevé botanique du 02.07.1972
b) idem, du 17.07.1980
Carte (pour le Crêt de la Neige) : Gex, No 1280, 1 : 25’000