Forêt de Pin de Salzmann
par Eric Grossenbacher

Salzmann
Préambule Salzmann Salzmann C’est au cours du semestre universitaire d’hiver 1973/74 du prof. Jean-Louis Richard, phytosociologue de l’Université de Neuchâtel, que nous avons entendu parler pour la première fois de l’existence d’une célèbre « Forêt de Pin de Salzmann » sise dans la région de St-Guilhem-le-Désert (30 km au NW de Montpellier) dans le Midi de la France.

Nous étions loin de penser, à ce moment-là, que, six ans plus tard nous aurions le très grand bonheur de fouler le sol de cette forêt !

A tout seigneur tout honneur… le Pin de Salzmann !

Petite détermination :
 • aiguilles (feuilles) par groupes de deux
 • aiguilles assez longues : plus de 8 cm (groupe de Pinus nigra) 
 • aiguilles souples, non ou peu piquantes
 • aiguilles droites, fines (1 mm), non piquantes ; jeunes rameaux orangés, luisants ; cônes moyens brun clair, luisants, à mamelons proches du pédoncule ; tronc argenté, brillant ; arbre médiocre, parce que cantonné en de mauvaises conditions ;
 • à la limite des étages méditerranéen et collinéen : Cévennes, Pyrénées, Espagne
 • Pin des Cévennes = Pin de Salzmann Pinus Salzmannii Dunal (= P. nigra ssp. salzmannii (Dunal) Franco

Salzmann « Le Pin de Salzmann ou des Cévennes, Pinus nigra ssp. salzmannii (dédié à P. Salzmann, 1751-1851), médecin-naturaliste saxon ayant résidé à Montpellier, est considéré comme une sous-espèce endémique des Cévennes calcaires (de l’Hérault, du Gard et de l’Ardèche) et des Pyrénées ; il forme une belle et célèbre forêt à St-Guilhem-le-Désert. Peu élevé, 6 à 10 m, et tortueux, il étale ses branches horizontalement et sa couronne est bien souvent tabulaire. Les plaques de l’écorce sont d’un gris argenté. Les feuilles (aiguilles), de 12 à 15 cm, dressées le long des rameaux sont géminées dans une gaine persistante. Les cônes sont petits, de 4 à 8 cm, ovales ou coniques, habituellement un peu courbés ; les écailles ont l’écusson bombé et caréné ; les graines, de 6 mm, sont accompagnées d’une aile trois à quatre fois plus longues, lancéolée et arrondie au sommet. Très sensible à l’action du feu. »

(H. Harrant et D. Jarry, Guide du naturaliste dans le Midi de la France, tome II, 1973)

Première approche

St-Guilhem-le-Désert, pour nous, ce n’est pas la porte d’à côté : Neuchâtel – Genève – Vallée du Rhône – Orange - Nìmes – Montpellier (sortie ouest, prendre avec assiduité la direction Millau : 9 ronds-points !) – Gignac – Aniane – St-Guilhem-le-Désert… 700 km environ, ouf ! Mais cela en vaut la peine. Notre premier contact avec un exemplaire de cette « célèbre forêt de Pin de Salzmann » se situe au-dessus de St-Guilhem-le-Désert. A pied, vous quittez le parc municipal (altitude 100 m) de cette superbe cité médiévale et, par un chemin montant fort agréable, vous arrivez aux Fenestrelles (300 m), avec un magnifique point de vue sur le Cirque de l’Infernet. Aux Fenestrelles, vous êtes à pied d’œuvre. Je me souviens de la sensation émotionnelle éprouvée à ce premier contact, une sensation que je comparerais à la vue d’une œuvre d’art, d’un monument célèbre. C’est l’émotion de tout botaniste découvrant pour la première fois un individu d’association. Rien de tel qu’un relevé botanique pour se mettre l’eau à la bouche !

Forêt de Pin de Salzmann (Querco-Buxetum salzmannietosum)
(un individu d’association)

Relevé : Benoît Garrone, Uni de MontpellierSalzmann
Station : Les Fenestrelles (au-dessus et à l’ouest de St-Guilhem-le-Désert ; il faut compter deux heures de marche de St-Guilhem-le-Désert, 100 m d’altitude, aux Fenestrelles ; en botanisant… 4 h !)
Altitude : 310 m (peut-être l’altitude la plus basse dans la région pour ce type de forêt !)
Aire : 4 ares
Pente : 20o
Exposition : nord
Sol : socle calcaire dolomitique ; fane composée essentiellement d’aiguilles de pins
Date : 08.07.1980
Arbres (4-5 m de haut ; 2 espèces)
Recouvrement : 70%
Cotation
(voir échelle de Braun-Blanquet ci-dessous)
Pin de SalzmannPinus salzmannii4
Chêne vertQuercus ilex+
Arbustes (13 espèces)
Recouvrement : 95%
Buis*Buxus sempervirens C2C : caractéristique du Querco-Buxetum (Buxaie à Chênes)
Cytise à feuilles sessiles Cytisus sessilifolius C+Salzmann
Chèvrefeuille d’Etrurie* Lonicera etrusca C (+)
Chèvrefeuille de MahonLonicera implexa (+)
Bruyère multifloreErica multiflora3
Romarin officinal*Rosmarinus officinalis3
Amélanchier*Amelanchier ovalis1
Filaria moyenPhillyrea media1
Filaria à feuilles étroitesPhillyrea angustifolia+
Genévrier de Phénicie Juniperus phoenicea (1)
Genévrier cadeJuniperus oxycedrus+
Prunier Mahaleb*Prunus mahaleb+
Nerprun alaterneRhamnus alaternus+
Strate herbacée (17 espèces)
Recouvrement : 5%
Germandrée doréeTeucrium aureum+
Thym vulgaire*Thymus vulgaris+
Immortelle stoechasHelichrysum stoechas+
Epervière des murs*Hieracium murorum+
Fétuque ovine*Festuca ovina+
Hélianthème blanchâtre*Helianthemum canum+
Genêt poilu*Genista pilosa+
Pistachier térébinthePistacia terebinthus+
Aspérule à l’esquinancie*Asperula cinanchica+
Chrysanthèmeà feuilles de graminéesChrysanthemum graminifolium+
Fumana fausse bruyère*Fumana ericoides+
Euphorbe serretéeEuphorbia serrata+
Coris de MontpellierCoris mospeliensis+
Bugrane très grêleOnonis minutissima+
Lavande à larges feuillesLavandula latifolia+
Plantain toujours vert*Plantago cynops+
Anthyllide à fleurs rougesAnthyllis vulneraria var. rubriflora (A. dillenii)+
Remarques : Salzmann
  1. Quand nous nous trouvons « hors de nos frontières », il est curieux de constater que si l’on reconnaît certaines espèces végétales de chez nous, on en arrive à douter de leurs noms ! « Je suis sûr de rien ! » - dixit Benoît Garrone en train de déterminer une plante… Ainsi, les espèces marquées d’un * se retrouvent en Suisse, soit 13 sur 32 citées ci-dessus.
  2. « D’origine tertiaire, la forêt de Pin de Salzmann représente un dernier vestige d’un état de boisement étendu, ayant au cours des périodes froides du quaternaire touché les abords immédiats de Montpellier et de Marseille. Aujourd’hui réduite à quelques lambeaux refoulés sur des sols les plus ingrats, elle peuple à St-Guilhem-le-Désert la roche dolomitique perméable portant tout au plus un profil de sol humique-carbonaté initial généralement très superficiel… » - Josias Braun-Blanquet, 1955 (voir paragraphe suivant).
  3. J. Braun-Blanquet a classé la forêt du Pin de Salzmann dans la sous-association Querco-Buxetum salzmannietosum, c’est-à-dire la Buxaie à Chênes riche en Pins de Salzmann, dans l’Alliance Quercion pubescenti-petraeae (chênaie buissonnante). Ceci pour la phytosociologie…
  4. Les forêts de Pin de Salzmann de la région de St-Guilhem-le-Désert (altitude du haut du village : 100 m) campent dans des endroits les plus ingrats des rochers dolomitiques, entre 430 et 620 m d’altitude environ, sur les versants nord, à climat méditerranéo-montagnard subhumide. Ces rochers sont constitués de dolomie qui est une association de carbonate de chaux soluble et de carbonate de magnésie peu soluble. L’érosion chimique sculpte la roche en lui donnant une allure ruiniforme, rude au toucher. Le Romarin Rosmarinus officinalis affectionne tout particulièrement les sables dolomitiques.
  5. Tous les pins sont sensibles au feu, surtout le Pin d’Alep Pinus halepensis, mais le Pin de Salzmann Pinus salzmannii ne fait pas exception. La célèbre forêt de Pin de Salzmann de St-Guilhem-le-Désert a été victime de l’incendie, par exemple en 1984. Il suffit de se promener entre St-Guilhem-le-Désert et la chapelle de l’Ermitage de notre Dame de Lieu Plaisant pour s’en rendre compte. Le 20 août 1973 les forêts de Pin de Salzmann du Ginestet et du Roc de la Candelle (au nord des Fenestrelles), sur les hauts de St-Guilhem-le-Désert, ont été détruites « totalement sur une superficie de 250 ha »… En 1955, la superficie totale des forêts de Pin de Salzmann était évaluée à 500 ha, selon Jean Prioton. A titre de comparaison, le site marécageux de la Gruère représente 210 ha, celui de l’aire de l’aéroport de Genève, 180 ha.
Salzmann

Josias Braun-Blanquet (Coire 1884 – Montpellier 1980)

On ne peut parler de phytosociologie sans avoir une pensée reconnaissante envers Josias Braun, né à Coire en 1884.

« Le développement de la géobotanique européenne et même mondiale au XXe siècle est dans une partie considérable le résultat de l’activité tenace de cet homme extraordinaire ».

C’est un autodidacte de la botanique. Privé de titres universitaires, handicap majeur en Suisse, il s’exila en France, à Montpellier dans l’Hérault. Là il rencontre Gabrielle Blanquet qui deviendra son épouse. Dès ce moment il signera tous ses travaux « Josias Braun-Blanquet ».

En 1915, sous l’égide des professeurs Flahault et Pavillard, il présente une thèse de doctorat sur la végétation des Cévennes méridionales. En 1930, il fonde la Station internationale de la géobotanique méditerranéenne et alpine de Montpellier (SIGMA). En 1948 il édite la revue Vegetatio qui deviendra la tribune internationale de la géobotanique.

Il est l’auteur de nombreux travaux et fut honoré de cinq doctorats honoris causa, reçut la médaille d’or de la Société linnéenne de Londres en 1974. Et encore : Chevalier de la Légion d’honneur !

Echelle de Braun-Blanquet

J. Braun-Blanquet a eu l’idée d’introduire une échelle des valeurs - à double chiffre (le premier représentant l’abondance-dominance, le second la sociabilité ou mieux la fidélité) - traduisant l’image d’un peuplement végétal quant à l’importance des espèces les unes par rapport aux autres en fonction de l’aire considérée.

Abondance-dominance (à 7 niveaux) Salzmann
5plus des ¾ de la surface totale
4½ - ¾-
3¼ - ½ -
21/20 - ¼ -
1peu abondant (moins de 1/20) de la surface totale
+peu
respèce rare (dans l’aire considérée)
Sociabilité (ou fidélité)
5peuplement très dense
4petites colonies
3groupes étendus
2groupes restreints (touffes)
1individus isolés
Exemples :
Allium ursinum 3.5 (le 3 indique l’abondance-dominance ; le 5, la sociabilité)
Se « lit » : plante occupant presque la moitié de l’aire (3), et d’une manière très dense (5)
Picea abies 5.1
Se lit « lit » : plante occupant presque toute la surface avec des pieds isolés (par exemple dans une monoculture d’Epicéas)
Cette double cotation a été utilisée par de nombreux botanistes dans leurs relevés botaniques ;
Citons, entre autres : Jos. Braun-Blanquet, Max Moor, Jean-Louis Richard, etc. Toutes leurs listes de plantes (relevés botaniques) sont écrites avec la double cotation. Il faut avouer que ce type d’écriture donne une idée très imagée des stations étudiées.
Cependant, les botanistes modernes ont supprimé le second chiffre (la sociabilité). La rédaction des listes de plantes en est simplifiée.
Actuellement :
Allium ursinum3 (la sociabilité a été supprimée)
Picea abies5

Il est à remarquer également que la cotation phytosociologique dépend uniquement de la personnalité des botanistes concernés. Mais dans l’ensemble, chacun est d’accord avec la cotation proposée. A lire les listes de Braun-Blanquet, à étudier celles de Max Moor, ou encore Jean-Louis Richard, eh bien, on est très vite plongé dans l’ambiance du terrain !

Saint-Guilhem-le-Désert

        En deux mots : allez-y !

Salzmann
Bibliographie
  1. Guide du naturaliste dans le Midi de la France 
    Tome I La mer, le littoral, 1967, 1991
    Tome II La garrigue, le maquis, les cultures, 1973, 1987 (St-Guilhem-le-Désert) par H. Harrant et D. Jarry
    Ed. Delachaux & Niestlé
  2. Saint-Guilhem-le-Désert et sa région
    Plusieurs auteurs, dont Jean Prioton et Robert Izard pour la botanique
    Avec liste floristique
    Association des amis de Saint-Guilhem-le-Désert, 1986
  3. La forêt de Pinus salzmannii de Saint-Guilhem-le-Désert
    par Josias Braun-Blanquet avec la collaboration de P. Fukarek
    Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine
    Extrait de « Collectanea Botanica », vol. IV, fasc. III
    Communication No 133, Barcelone, 1955
  4. Vingt randonnées choisies dans les Monts de St-Guilhem-le-Désert
    Randonnées en Pays d’Oc, sans date
    Patrick Pages et R. Pierre-Auguste
  5. Languedoc – 30
    Causses et garrigues / Circuits pédestres (45 !)
    par Hubert Borg
    Guide Franck, 1991
  6. Carte IGN No 2643 E Clermont-l’Hérault, au 1 : 25’000
  7. Carte IGN No 2642 E Blandas / Cirque de Navacelles, au 1 : 25’000
  8. Carte IGN No 65 Béziers-Montpellier au 1 : 100’000

Remerciements

Jean-Louis Richard, 1921-2009, Uni Neuchâtel ; Benoît Garrone, Uni Montpellier ; Marie-Rose Krebs, Bienne ; Denise Primault, Bienne ; Jean Frei, Genève ; André Rossel, Tramelan ; Elsi Wepf, Dietwil AG

Eric Grossenbacher, La Neuveville, janvier 2010

Points de chutes recommandés :

www.guilhaumedorange.com
Hostellerie Guilhaume d’Orange
2, av. Guilhaume d’Orange
34150 St-Guilhem-le-Désert F
Courriel : contact@guilhaumedorange.com

Ou :
Hostellerie Saint-Benoit (Logis de France) / A 5 minutes en voiture de St-Guilhem-le-D.
Route de Saint-Guilhem
34150 Aniane F
Courriel : hostellerie.st-benoit@wanadoo.fr
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