Cette roche combustible, de bien mauvaise qualité il est vrai (elle dégage énormément de fumée et laisse beaucoup de cendres), a remplacé le charbon durant la dernière guerre, de 39-45. En revanche, les cendres fournissent un excellent engrais. Les tourbières du haut Jura, aux environs de 1000 m, ont été exploitées et ce sont des internés militaires (Français, Polonais surtout, Russes) qui fournissaient la main-d’œuvre principale.
Dans le Jura bernois d’alors, de 1815 à 1979, les tourbières de La Chaux-d’Abel (1005 m), de La Chaux-de-Tramelan et de La Chaux-des-Breuleux (990 m), de l’Etang de la Gruyère (998 m ; à cette époque et jusqu’en 1955 on l’écrivait avec y...), de l’Etang des Echanges (1000 m, le « Poleyo » actuel), des Pontins sur St-Imier (1095 m), de Bellelay (930 m), furent l’objet d’une exploitation industrielle. Rails, wagonnets, stations de chargement, camions de livraisons, tout était organisé pour le commerce de la tourbe. Celle-ci, prélevée à l’endroit le plus élevé de la tourbière, à l’aide de bêches, était débitée en plaques (20 x 15 x 10 cm environ) ou en forme de briquettes que l’on étalait sur le sol, les plaques disposées par deux comme les pans d’un toit pour que l’air circule et assèche la tourbe, les briquettes en petites pyramides ajourées.
L’extraction de la tourbe s’effectuait en milieu humide, l’eau de pluie étant un élément indispensable à la formation des tourbières. Il fallait donc éliminer cette eau pour faciliter le travail des tourbiers, d’où le creusage de canaux d’évacuation (appelés « tareaux » à Tramelan) qui la conduisaient dans l’emposieu le plus proche. Cette eau, je la vois encore, avec sa couleur caractéristique légèrement brunie par les acides humiques (acides qui se dégagent de l’humus produit par la décomposition des végétaux). Vous pouvez vous en faire une idée en regardant l’eau de l’étang de La Gruère. Actuellement, soixante années après l’exploitation, on peut encore voir les restes de ces « tareaux » !
Quand la tourbe avait séché (une semaine suffisait par beau temps, il fait chaud sur la tourbière en été), elle était chargée sur des camions et livrée aux usines, aux écoles et autres bâtiments. Dans les écoles, la tourbe était montée dans les combles par les élèves à l’aide de paniers à bois et le va-et-vient des corbeilles pleines à la montée, vides à la descente, n’avait de cesse que lorsque l’immense tas de tourbe déposé dans la cour avait disparu. Poussière aidant, les élèves avaient des moustaches brunes sous le nez à la fin de l’après-midi.
Si les tourbières ont « souffert » de leur exploitation durant la dernière guerre, en revanche elles nous ont laissé en souvenir de magnifiques étangs. Les trous plus ou moins béants ont été comblés par l’eau de pluie retenue par une digue artificielle. Peut-être le plus beau fleuron de ces étangs est celui que les Tramelots appellent « Poleyo », plus exactement « Etang des Echanges ». Il est situé à environ 500 m à l’est du diverticule nord-est de l’étang de la Gruère. C’est le Tramelot Gottlieb Hauri qui eut l’idée géniale de sa création, la guerre terminée. Le nom de « Poleyo » vient de C. Pulejo, industriel à la tête de l’entreprise « Prospection et exploitation de mines et tourbières », siège à Lausanne, qui possédait, entre autres, une filiale aux « Tourbières des Echanges ». De Pulejo à « Poleyo », il n’y avait qu’un pas...
Rappelons, pour mémoire, que les hommes détruisirent, en les exploitant, des biotopes âgés de 10’000 années. En revanche, cela a permis aux botanistes actuels d’observer une tourbière à ses débuts. C’est particulièrement spectaculaire à La Chaux-de-Tramelan, à La Chaux-des-Breuleux, au Bois-des-Lattes en pays neuchâtelois, où l’on peut admirer le bouleau pubescent, facile à reconnaître de loin avec son tronc blanc et espèce pionnière par excellence, devenu roi d’un territoire vierge de forêt... Bien après, longtemps après (des milliers d’années), le pin à crochet dominera le bouleau pubescent sur la tourbière qui sera redevenue haute, bombée comme un verre de montre à l’ancienne. La fin de la guerre, en 1945, évita à nos tourbières un massacre quasi total.
A ce propos, peu avant la signature de l’armistice de 1945, on vit apparaître dans la partie la plus au nord de la tourbière de La Chaux-de-Tramelan, à l’est du « Lavoir » (étang), une machine qui extrayait la tourbe en la malaxant. La tourbe broyée par des mâchoires métalliques était montée sur une rampe inclinée de forme concave dans laquelle une vis sans fin d’une longueur de 5 mètres environ faisait progresser la tourbe du niveau inférieur jusqu’à l’étage supérieur de la tourbière. La tourbe n’avait plus la forme caractéristique des plaquettes que nous lui connaissions, façonnées à l’aide des bêches. Non, la tourbe était débitée par tronçons, aux dimensions de 30 x 5 x 5 cm. C’était plus rapide, c’était devenu ingénieux. L’endroit est encore bien visible de nos jours, car une creuse (résultat de l’exploitation interrompue brusquement en 1945 : longs fossés remplis d’eau et limités par des crêtes tourbeuses) s’est formée en cet emplacement. Surtout, n’y mettez pas les pieds !...
(avertissement au lecteur : si ce paragraphe vous paraît trop ardu, passez au suivant !)
Lors d’une excursion dans une tourbière, la partie la plus spectaculaire, à coup sûr, est de présenter des Sphaignes aux visiteurs. Presser une touffe de Sphaignes et en extraire son « jus » mérite des explications car les Sphaignes peuvent contenir en eau jusqu’à 20 fois leur poids sec. Mieux, ce liquide (solution aqueuse), est d’une acidité pouvant valoir pH de 5, voire même moins. Mais que représente le pH d’une solution ? C’est l’abréviation de « potentiel d’hydrogène », indice exprimant la concentration de l’ion hydrogène (noté H+) dans une solution à l’aide d’une échelle logarithmique. Sörensen (1868-1939), chimiste danois, a proposé en 1909 l’échelle, « dite de Sörensen », de 0 à 14, mais allant dans la pratique de 1 à 14 : 1 à 6 indiquant l’acidité, 7 l’état neutre et, de 8 à 14, l’alcalinité d’une solution aqueuse. L’ion hydrogène H+ (résultat d’un atome d’hydrogène qui a perdu son unique électron : c’est un proton) caractérise les acides et le pH est la mesure de l’acidité d’une solution.
Par exemple, l’eau de pluie alimentant la tourbière verra son acidité insensiblement augmentée. Des expériences ont montré que l’eau de pluie, après avoir passé dans les cellules des Sphaignes en ressortait avec une valeur pH de 4 par exemple (en tout cas inférieur à 7 !). Dans un litre d’eau neutre, le nombre de moles de molécules d’eau ionisées vaut 1/10'000'000 (1 mole = 6.1023 molécules : c’est le nombre d’Avogadro), soit 1/107 ou tout simplement 10-7 : le 7 représente le pH de l’eau neutre (-7 est le logarithme de 10-7 = 0,0000001 ; prenez votre calculatrice et pressez 0,0000001, puis log, et le -7 apparaîtra !). D’où le pH = -log c (c = concentration d’ions H+) ; en effet, l’opposé de -7 vaut 7.
« Le pH n’a de signification que dans les solutions aqueuses. Quand on parle du pH d’un sol, c’est toujours celui de l’eau qui le sature », dixit Pierre-André Kuenzi. Quand on mesure le pH d’une solution, c’est le nombre d’ions hydrogène (H+) que l’on évalue, les ions H+ caractérisant les acides.
Si nous comparons un pH de 7, par exemple, à un pH de 5 :
pH de 7, soit concentration en ions H+ = 0,0000001, ou 1/10-7
pH de 5, soit concentration en ions H+ = 0,00001, ou 1/10-5
Nous constatons que la concentration de ions H+ est 100 fois plus importante dans la solution à pH de 5 que dans celle à pH de 7... Si vous multipliez 0,0000001 par 100, vous trouverez bien 0,00001 ! C’est que l’échelle de Sörensen est une fonction logarithmique et non linéaire ; on passe de pH de 7 à pH de 6 en multipliant par 10 (un pH de 6 est dix fois plus acide qu’un pH de 7) ; de pH de 6 à pH de 5 en multipliant par 10... donc, de pH de 7 à pH de 5 en multipliant par 100, etc.
Il est amusant de comparer quelques valeurs de pH, non seulement à propos des Sphaignes qui nous intéressent dans cet article sur les tourbières, mais aussi dans différentes substances courantes.
De la plus acide à la plus alcaline :
pH de 1 : suc gastrique de l’estomac humain / pile / acide chlorhydrique HCl (solution aqueuse de concentration 3,65 g/l)
pH de 2 : jus de citron / pluie de Wheeling (Virginie, USA)
pH de 3 : jus de pomme
pH de 4 : vin
pH de 4,5 : sol podzolisé, forêt d’Arole et de Mélèze (par exemple Aletsch) / sols tourbeux
pH de 5 : pluie en campagne
pH de 6 : pluie au Jungfraujoch
pH de 7 (neutre, ni acide, ni alcalin) : eau pure H2O
pH de 7,38-7,43 : sang humain
pH de 7,4 : eau du robinet (La Neuveville)
pH de 8 : aspirine (comprimé dissous dans un verre d’eau)
pH de 9 : sols calcaires (régions arides)
pH de 10 :
pH de 11 : Ammoniaque NH4OH (ou hydroxyde d’ammonium, solution aqueuse obtenue par dissolution du gaz ammoniac NH3)
pH de 12 : eau de chaux CaO (pH de 12,4)
pH de 13 : lessive
pH de 14 : hydroxyde de sodium NaOH (solution à 40 g/l)
Eau pure : il s’agit d’une solution neutre, à pH de 7, c’est-à-dire qu’il y a autant d’ions H+ que d’ions OH-
Acidité : pH de 6 à pH de 1, nous avons davantage d’ions H+ que d’ions OH-
Alcalinité (solution basique) : pH de 8 à pH de 14, nous avons davantage d’ions OH- que d’ions H+
A ce stade de notre récit, Pierre-André Kuenzi précise :
« Ici, on pourrait se poser la question : pourquoi la concentration en ions H+ chute-t-elle et ne reste-t-elle pas égale à celle de l’eau pure ? Il faut préciser que l’ionisation de l’eau H2O <—> H+ + OH- joue dans les deux sens (équation chimique réversible), en équilibre dans l’eau pure (concentration constantes et invariables dans le temps), avec [H+] = [OH-] = 10-7.
En solution alcaline, l’apport d’ions OH- générés par la base force cet équilibre du côté de la reformation des molécules d’eau, diminuant ainsi la concentration en ions H+ (principe de la moindre contrainte). Comme cet équilibre est régi par la constante du produit ionique de l’eau [H+] x [OH-] = 10-14, on peut toujours calculer un pH. »
En effet, à l’aide de l’équation [H+] x [OH-] = 10-14, il est aisé de calculer le pH d’une solution si l’on connaît sa concentration en ions OH- , 10-8, par exemple. Solution : H+ x 10-8 = 10-14 implique que H+ = 10-14 : 10-8 = 10-6, d’où pH de 6.
En conclusion, disons que l’acidification dans les sphaignes se réalise grâce à un échange cation-proton (lié à la membrane cellulaire, mais probablement aussi à leur métabolisme), avec le biotope extérieur. Phénomène encore mal connu, il est vrai, mais ce qui est certain, « c’est que les sphaignes sont des végétaux capables d’acidifier leur milieu de vie ». Les mesures de pH le prouvent.
Ouf, chers lecteurs, avez-vous suivi ?...
Il existe une nuance importante entre un accommodat et un adaptat. On entend par accommodat une modification morphologique ou physiologique, non transmise héréditairement aux descendants, qui permet à un être vivant de s’accommoder à un nouveau milieu. Ces modifications disparaissent lorsque la plante retrouve son milieu primitif.
Par exemple, le hêtre (Fagus sylvatica), si beau, si grand dans la hêtraie typique, là où il connaît son optimum écologique... eh bien, vous le trouverez petit, rabougri à la limite supérieure de la forêt jurassienne ! Dans les deux milieux, c’est le même hêtre qui s’est accommodé à survivre dans des conditions nettement différentes. Dans ce cas, on parle d’accommodat. En revanche, si ce hêtre a la mauvaise idée d’envoyer une graine par oiseau interposé, un pinson du nord par exemple, dans la tourbière toute proche de La Chaux-des-Breuleux (ou autres), cette graine n’a aucune chance de germer ! Le hêtre n’est pas adapté à vivre dans une tourbière. Adaptation présuppose un patrimoine héréditaire différent. Toutes les plantes vivant dans une tourbière ont un patrimoine héréditaire spécifique, transmis de mère en fille. Là il s’agit d’adaptat.
Oh, elles ne sont pas légion les plantes adaptées aux tourbières ! Un étudiant débutant en botanique aura avantage à commencer par l’étude des tourbières... plutôt que dans certaines prairies alpines (un de nos relevés compte 80 espèces dans une prairie de fauche de Vichères en Valais, à 1480 m d’altitude).
Voici quelques plantes que vous trouverez à coup sûr pour certaines (il faut parfois de bons yeux et savoir où chercher...) dans les tourbières du haut Jura, aux alentours des 1000 m d’altitude :
pH de 3 à 4,5 (indicatrices très nettes d’acidité) :
Vaccinium uliginosum (Airelle des marais), Vaccinium myrtillus (Myrtille), Betula pubescens (Bouleau pubescent), Betula nana (Bouleau nain) et leur hybride Betula intermedia (Bouleau intermédiaire), Andromeda polifolia (Andromède à feuilles de polium), Linaigrette engainante (Eriophorum vaginatum), Carex pauciflora (Laiche à peu de fleurs), Carex limosa (Laiche des bourbiers), Scheuchzeria palustris (Scheuchzérie des marais), Calluna vulgaris (Callune commune) que beaucoup de monde appelle, à tort, bruyère... ; des mousses : Sphagnum sp. (Sphaignes), Polytrichum sp. (Polytric)
pH de 3,5 à 5,5 (indicatrices d’acidité) :
Vaccinium vitis-idaea (Airelle rouge), une plante carnivore : Drosera rotundifolia (Droséra à feuilles rondes), une autre plante carnivore, introduite : Sarracenia purpurea (Gobe-mouche du Canada), Vaccinium oxycoccos = Oxycoccus quadripetalus (Canneberge), Linaigrette à feuilles étroites (Eriophorum angustifolium), les deux très rares Carex chordorrhiza (Laiche à longs rhizomes) et Carex heleonastes (Laiche des tourbières), Carex canescens (Laiche blanchâtre), Carex nigra = C. fusca (Laiche brune)...
Les esprits curieux trouveront des illustrations dans « Flora Helvetica » de toutes les plantes citées ci-dessus. Quelques exceptions cependant, nous vous présentons dans notre reportage photographique la Sarracénie pourpre qui a su prendre sa place dans notre flore des tourbières et, ceux qui l’ont introduite ne s’y sont pas trompés... elle est vraiment à l’aise dans son lit de sphaignes. Bon, certains esprits chagrins diront que cette plante n’a rien à faire chez nous... Laissons-les à leur opinion.
Pour nous, eh bien, cette fleur du Canada est la bienvenue ! A admirer aussi dans notre série de photos : Drosera rotundifolia, Betula nana, Calluna vulgaris, Sphagnum sp.
Ces archives ? Ce sont les grains de pollen... Chaque espèce végétale possède un pollen à nul autre pareil. De plus, ils se conservent très bien à l’abri de l’air. Il est donc « relativement facile » d’examiner ces pollens qui se sont déposés au fil des ans, dans le sol des tourbières. Et, grâce à l’observation minutieuse de ces grains soigneusement répertoriés, comptés et reportés dans des diagrammes polliniques, a permis de reconstituer l’évolution de la forêt depuis la fin de la dernière glaciation (il y a environ 12'000 ans) jusqu’à nos jours. Voir le dernier paragraphe, en gras, dans les remarques qui suivent le tableau : « Petit essai de classification... ».
(Inspiré d’une conférence donnée par Adolphe Ischer, le 17 juin 1973, à Neuchâtel, d’une part, et de la « Contribution à l’étude tardi- et postglaciaire de la végétation dans le Jura central », par François Matthey, 1971, d’autre part.)
AGE | ÉPOQUES | CLIMAT | FLORE – GÉOLOGIE – HOMMES | TOURBIERES |
---|---|---|---|---|
-10’000 | Arctico-alpin | Sec et froid | Fonte du glacier du Rhône : Lac de Soleure (= lacs de Morat, Neuchâtel et Bienne réunis), cote : 480 m, soit 50 m plus haut qu’actuellement Toundra ; peuplements herbacés et forestiers commencent | L’eau de pluie, et elle seule, favorise le début et la suite de la formation des tourbières |
- 8'200 | Préboréal | Sec, mais réchauffement | Pins, Bouleaux, Saules | |
- 6'800 | Boréal | Régimes de vents d’est ; hautes pressions ; période beaucoup plus chaude | Chênes, Ormes
(en quantité), Charmes, Tilleuls, Erables, en forêts discontinues ; Installation de la flore steppique (chaude) | Flore des toundras repoussée dans les tourbières et sur les hautes crêtes du Jura |
- 5’500 | Atlantique | Dépressions atlantiques : précipitations plus abondantes ; relative fraîcheur | Forêts continues : (invasion massive des Epicéas, des Hêtres et des Sapins) Végétation steppique reléguée dans les garides, dans les prés secs, dans les éboulis chauds et les rochers ensoleillés | Si les Egyptiens de la période des pharaons étaient venus à la Gruyère... ils auraient trouvé la tourbière inférieure en altitude de 2,5 m... |
- 2’500 | Subboréal | Plus chaud | Age du bronze lacustre (-1'800 à -850) | |
- 800 | ||||
0 | Subatlantique | Froid et pluvieux | Naissance de J.-C. Invasion des peuplades du nord vers le sud | Si Jésus était venu dans la tourbière de la Gruyère, il n’aurait pas vu d’étang ! |
+ 1’000 | Atlantique(actuelle) | Pluies relativement régulières ; adoucissement | Dès le Moyen Age, la population augmente : défrichement de la forêt, agriculture, élevage. Guerre de 1939-45 | Climax : Pinède sur tourbe + 1'652 : construction
de la 1ère digue de l’étang de la Gruyère (scierie / moulin). Extraction de la tourbe (chauffage des bâtiments). Dès 1945 : Régénération naturelle des tourbières. 1955 : « Etang de la Gruyère » devient « Etang de la Gruère ». Dès 1987 : Suisse : protection totale de 89 sites marécageux d’importance nationale (initiative de Rothenthurm). |
+ 2’000 + 3’000 | Hypothèse : Méditerranéen ? | Réchauffement ; sécheresse estivale : hivers doux et humides | Disparition des chênaies mixtes et des hêtraies. Quercus ilex (Chêne vert) au droit... Quercus pubescens (Chêne pubescent) à l’envers... Apparition de l’Olivier ! | « Petite régénération » artificielle des tourbières (dès 2003). Si climat méditerranéen : Disparition totale des tourbières ! (la sécheresse est leur ennemie No 1, ce qui impliquerait leur disparition à plus ou moins longue échéance) |
Si les botanistes du XXe siècle ont recherché passionnément l’histoire des forêts qui était inscrite dans les tourbières (10'000 à 12'000 ans en arrière par rapport à notre époque), que pourrions-nous dire pour leur avenir ?
Serait-il farfelu de prétendre que, dans 12'000 ans, soit en l’an 14'000..., l’étang de la Gruère aura disparu ? Si l’espèce humaine disparaît durant une certaine période, disons pendant 12’000 ans, puis réapparaît plus tard, les botanistes de l’an 14'010 verront une tourbière de la Gruère qui se sera élevée d’une bonne dizaine de mètres ! Le plan d’eau de l’étang aura été envahi par les Sphaignes et la tourbière bombée aura complètement coiffé l’étang ! N’oublions pas que l’étang de La Gruère est artificiel et que, laissé à lui-même, il se verrait « phagocyté » par les Sphaignes. En effet, comme l’eau est le plan le plus bas de la tourbière, les Sphaignes commenceront par l’envahir et finiront par le faire disparaître, millimètre par millimètre.
En 12'000 années, faites le compte, à raison d’une croissance de tourbe de 0,5 à 1 mm en épaisseur par an, nous arrivons à un manteau bombé d’une hauteur de 6 à 12 m supplémentaires. Encore faudrait-il que le climat actuel, atlantique, se maintienne durant une si longue période, ce qui est loin d’être certain !
On dit même que d’ici 5'000 ans, le lac de Bienne aura complètement disparu : les alluvions apportées par l’Aar, La Thielle, le Ruisseau de Vaux , La Douanne, La Suze... l’auront comblé. Bon, notre génération ne verra pas tout cela...
Les travaux d’exploitations durant la dernière guerre ont laissé des traces bien visibles encore actuellement : les anciens canaux (les tareaux), atténués certes, sont toujours là soixante ans après. Les fronts de coupes (murs d’exploitation), les grandes dépressions envahies par l’eau (les creuses), sont autant de témoins des dégradations de la dernière guerre. Le front de coupe actuel indique la fin des hostilités, en mai 1945.
Peut-on « aider » la nature à colmater, à réparer les entailles engendrées par l’homme ? Oui ! Pour cela il faut absolument que l’eau de pluie reste dans la tourbière, que cette eau ne parte pas, ou très peu, dans les emposieux entourant les tourbières. La première chose à faire c’est d’établir de petits barrages pour retenir l’eau. Boucher les sorties d’eau en direction des emposieux est une priorité.
Inutile de toucher aux creuses... l’eau est déjà leur prisonnière. En revanche, « effacer » les canaux d’évacuation (ou tareaux) datant de la dernière guerre, c’est possible. Au Bois-des-Lattes (1000 m, vallée des Ponts, NE), à La Chaux-des-Breuleux (990 m), en particulier, on utilise de la sciure de bois pour remplir le lit des anciens tareaux, tout en ajoutant des barrages tous les dix mètres environ à l’aide de panneaux de bois enfoncés en travers des canaux. Leur végétation, enlevée avant le remplissage par la sciure, est remise après coup, par-dessus la sciure dûment tassée. Dans deux ou trois ans, il n’y paraîtra plus, toute trace de mutilation aura disparu, du moins au niveau des canaux. Rappelons qu’ils furent créés pour que les ouvriers de la tourbe travaillent les pieds le plus au sec possible... Ces tareaux sont toujours dirigés du haut de la tourbière bombée (semblable aux anciens verres de montre) en direction des emposieux situés quelques mètres en contrebas dans le pourtour des tourbières. On compte près d’une quarantaine de canaux de drainage à La Chaux-des-Breuleux, sur sol jurassien, dixit Philippe Grosvernier. A La Chaux-de-Tramelan, sur sol bernois, les barrages le long des tareaux sont plus discrets, car on a utilisé de la tourbe comme matériau de colmatage ; en revanche, sur certains tronçons, et là c’est loin d’être discret (voir notre photo), on a pris du bois coupé dans la tourbière même, pour combler ces minis thalwegs que constituent les canaux d’évacuation, et ce dès 2003. Les tourbières de La Chaux-des-Breuleux et de La Chaux-de-Tramelan, contiguës, sont gérées par deux états différents, l’Etat jurassien pour la première, celui de Berne pour la seconde. Cela explique l’approche différente du mode de régénération choisi. Mais les deux approches tendent au même but : garder l’eau dans la tourbière.
Eric Grossenbacher, La Neuveville, juillet à octobre 2010
eric_grossenbacher@bluewin.ch
Remerciements
Florian Châtelain, Tramelan ; Etienne Chavanne, Moutier ; Alain Droz, Tramelan ;
Elizabeth Feldmeyer-Christe, Delémont et Birmensdorf ZH ; Dora-Lise Fuerth-Krähenbühl (fille de M. et Mme Charles Krähenbühl), 8071 Gössendorf, Autriche ; François Gillet, Uni de Besançon ; Walter Graber, Les Reussilles ; Philippe Grosvernier, Reconvilier ; Colette Joray, (fille de M. et Mme Marcel Joray), Neuchâtel ; Pierre-André Kuenzi, Bôle ; Thierry Porée, La Neuveville ; Marc Jeannerat, Moutier.